Théâtre | Compagnie Commun Monde

En résidence d'artistes à Lyon 3 | 2022-23

 
Qu'est-ce que la Cie Commun Monde ?
Le nom de la compagnie a une signification politique au sens large. Comme le « jeu de mots » l’indique, le projet artistique ouvre deux perspectives. Il s’agit d’abord de concevoir la compagnie comme un monde, c’est-à-dire comme un lieu ouvert et vivant, nourri d’imaginaire et d’idéaux, capable de construire entre des personnes et des institutions différentes des relations à la fois solides et singulières. C’est pourquoi les membres de la compagnie ne sont pas tous issus du monde du théâtre mais de la société dans son ensemble.

@Richard Haughton Samuel Pelras, qui préside l’association, est enseignant et Florence Rutschi, la trésorière, informaticienne. L’enjeu est d’inscrire la vie du théâtre dans la réalité sociale et d’entrelacer la vie de la compagnie et ce qui se passe sur le territoire. Mais l’insistance sur le monde commun définit aussi un idéal politique. Il s’agit de retrouver, grâce au théâtre, une pensée de la société et de la relation à autrui qui nourrisse notre désir de construire un monde commun. La perte d’étonnement, la disparition de l’esprit critique et des utopies détruisent peu à peu le sens de la vie politique et citoyenne. Comment retrouver à la fois l’envie de participer aux décisions collectives et l’efficacité d’une telle participation ? Comment renouer avec un désir impliqué dans la vie de la « cité » ? Notre conviction est que le théâtre a un rôle essentiel à jouer à ce niveau-là.


 

Guillaume Carron, dramaturge, philosophe, enseignant
Directeur de la Cie Commun Monde
Agrégé et Docteur en philosophie, il a d’abord enseigné cette discipline pendant cinq ans (2004-2009) à l’Université Lyon 3. À ce moment-là, ses travaux portent sur la pensée de Merleau-Ponty et sur le lien entre la philosophie et le théâtre. Pendant son parcours universitaire, il tisse des liens constants entre la faculté de philosophie de Lyon et différents théâtres de la région lyonnaise : le TNP de Villeurbanne, mais aussi le théâtre du Point du Jour et le théâtre de La Croix-Rousse. En 2009, autour du spectacle Coriolan joué au TNP, un projet de médiation culturelle impliquant les étudiants et les acteurs du TNP voit le jour. Ce sera alors le début de sa longue complicité avec le TNP où il travaille régulièrement avec Christian Schiaretti et Jean-Pierre Jourdain.

En 2010, son travail de thèse reçoit le prix de thèse de l’Université Lyon 3 et ses recherches sur théâtre et philosophie sont récompensées par le prix jeune chercheur de la Ville de Lyon en 2012.

En 2017, il est embauché comme dramaturge et conseiller artistique sur les créations de Christian Schiaretti. Tout en enseignant au lycée, il travaille alors sur Ubu Roi d’Alfred Jarry, L’incident d’Antioche de Alain Badiou, Ajax de Sophocle, Hippolyte de Robert Garnier, Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, L’Échange de Paul Claudel. Il se forme à la mise en scène et participe aussi à la création de quelques spectacles pour les compagnies Théâtre en Pierres Dorées dirigée par Damien Gouy et Ostinato, dirigée par Olivier Maurin.

Après le changement de direction au TNP et la longue interruption du monde de la culture en raison de la COVID, il fonde en 2021 la Compagnie Commun Monde.

 

@Mai ATRACHE
Illustration : Mai ATRACHE
 

Ateliers théâtre : dramaturgie, jeu, scénographie

Gratuits & réservés aux
étudiants de Lyon 3

Cette année, les artistes proposent aux étudiants de Lyon 3 de découvrir l'univers artistique de la compagnie au fil d'ateliers théâtre inédits autour de la création de la pièce Dans la solitude des champs de coton, d'après Bernard-Marie Koltès : initiation à la dramaturgie, scénographie, jeu, diction, mouvement...

L’intérêt pour ces étudiants réside non seulement dans la découverte du processus de création d’une œuvre théâtrale mais aussi dans l'exploration d'une autre manière d’interroger le sens d’un texte littéraire.

Mettre en œuvre ce chantier dramaturgique, l’expliquer et l’apprendre aux étudiants, les impliquer ensuite dans une étape de la création, constitue aussi un moyen de faire évoluer le travail de la compagnie. Enfin, pour le metteur en scène Guillaume Caron, ce projet est l’occasion de prolonger des recherches engagées depuis longtemps sur le lien entre la philosophie et le théâtre. Ce travail est né à la Faculté de philosophie de Lyon 3 au cours de son travail de thèse en 2010.
 



En quoi consiste la dramaturgie ?

La dramaturgie consiste à réunir tous les éléments qui permettront le passage du sens littéraire du texte au jeu incarné des comédiens. Il s’agit en partie de constituer un savoir précis sur le texte lui-même : biographie de l’auteur, contexte historique et philosophique du texte, sources de l’auteur, etc ; mais aussi de collecter une « matière » pouvant nourrir et inspirer l’imaginaire et le jeu des comédiens. Cette matière peut être un ensemble de textes sans lien direct ni évident avec l’œuvre jouée, mais aussi de la musique, des films, des peintures, des photographies… Elle se constitue en fonction des choix de mise en scène et de la singularité des comédiens. La dramaturgie est une recherche « intellectuelle » qui n’a de sens que tournée vers la sensibilité et l’incarnation.

C’est l’atelier principal proposé par la résidence et celui autour duquel gravitent les autres. Il s’agit d’encourager les étudiants à adapter leurs recherches tout d’abord à une mise en scène imposée d’une pièce de Koltès, puis ensuite à une mise en scène de leur choix.


La lecture à voix haute

Il s’agit de travailler la lecture du texte de manière à l’orienter vers la signification choisie durant l’atelier de dramaturgie. La première étape d’un exercice de lecture consiste bien sûr à respecter la lettre du texte, c’est-à-dire la prononciation correcte de chaque terme, la place des respirations en fonction de la ponctuation. Mais la lecture n’est pas seulement une technique liée à la syntaxe. Toute lecture est aussi une prise de position signifiante : un texte, même philosophique, peut prendre des sens différents selon la manière de le lire. L’atelier se propose donc à la fois de mettre en place l’exercice purement technique de maîtrise de la lettre du texte et ensuite celui de prise de position.


Le jeu

Il s’agit d’apprendre les rudiments de la représentation théâtrale à travers la mise en espace d’un extrait d’une pièce de Koltès. Selon le temps de résidence avec les comédiens, un rendu avec les étudiants pourra éventuellement être présenté à l’université !

En savoir plus


Bernard Marie Koltès
 

Représentation théâtrale

Dans la solitude
des champs de coton
De Bernard-Marie Koltès

Mise en scène : Guillaume Carron
Jeu : Clémentine Allain et Mickaël Pinelli
 

L'histoire...

Un dealer, un client. Deux personnages seulement désignés par leur fonction. Ils se rencontrent. Rien ne les destinait à se parler. Une déviation eut lieu, quelque part, à un moment ; mais qui a changé de chemin ? Le dealer aborde alors le client pour tenter de comprendre l’objet de son désir, un objet qu’il serait prêt à lui donner. Mais alors qu’une attraction énigmatique se crée entre les deux personnages, le client refuse sans cesse les propositions du dealer, au point d’instaurer dans le dialogue un combat que les mots ne suffiront pas à résoudre.
 

Le contexte...

La pièce de Koltès interroge le désir dans sa relation avec une société de marché. Koltès écrit cette pièce dans les années 1980, à un moment charnière. Depuis le XVIIIe siècle et la naissance du libéralisme, l’Histoire est marquée par une confiance et un espoir en la notion d’échange. Le marché semble avoir instauré une fluidité des relations sociales et ouvert la créativité dans le monde du travail. Il a aussi créé, dès le début, des inégalités, mais les dénonciations marxistes des injustices consécutives au marché n’ont pas été suffisantes pour empêcher le développement des sociétés capitalistes. Le commerce ne renvoyait plus seulement à un ensemble de métiers, mais à un modèle relationnel plus général : Montesquieu louait la capacité du commerce à instituer la justice dans les relations internationales, Tocqueville montrait les vertus de cette économie nouvelle dans la mobilité sociale, Claudel faisait de l’ « échange » une force du désir humain. La société de marché s’est construite sur la conviction que le mouvement de la monnaie pouvait aussi être celui d’une société vivante, dynamique et heureuse.

Lorsque Koltès écrit la Solitude en 1986, le rapport entre le désir et le marché se trouve encore au cœur des préoccupations humaines. Mais ce rapport se traduit en lui d’une manière singulière et peut-être même paradoxale. Car le deal n’est pas seulement le marché, mais une transaction réputée interdite, souvent cachée, hors lois, où tout semble possible sans que l’objet du désir ne soit même prononcé. Koltès voit dans le deal une sorte d’idéal des interactions humaines : on évite ainsi les affects banals, les complaintes lassantes de l’insatisfaction et de la culpabilité. Le désir ou l’amour sont pour lui des non sujets, des sujets guimauves, ennuyeux et peu dramatiques. Et pourtant, il avoue aussi que la question du désir, et plus spécifiquement d’un désir opprimé qui se cherche, est au cœur de son écriture. Dans la Solitude des champs de Coton incarne ce paradoxe du désir : on parle sans cesse du désir pour dire qu’il n’existe plus. On a souvent cru que ce « complexe du désir » était lié à l’homosexualité de l’auteur et à l’oppression dont était victime la communauté gay à cette période. Mais Koltès a souvent été déçu que l’on réduise le problème de la pièce à sa biographie. La Solitude témoigne d’une difficulté plus générale de l’expérience du désir dans nos sociétés contemporaines.

Notre hypothèse de mise en scène est que l’impossibilité tragique de formuler un désir est causée par l’omniprésence du marché dans les rapports humains. Voir la vie comme un deal consiste à suivre toujours la même boussole : ne surtout pas être « perdant ». Ce rapport à la perte et au manque qu’elle pourrait provoquer, ne serait-il pas la cause de la disparition du désir dans la société ?

La mise en scène suivra les pistes ouvertes par ces questions. Cela permettra de montrer ce que Koltès appelait le langage intérieur du désir ; ce langage où se joue simultanément notre singularité, notre rapport à autrui et notre envie de vivre. Mais comment ouvrir le champ de cette dimension du désir ?