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SCHROLL Jacques

Louis Dumur en guerre

Publié le 16 juin 2025 Mis à jour le 16 juin 2025

Thèse en lettres, soutenue le 29/11/2024.

L'écrivain suisse Louis Dumur (1863-1933) est célèbre pour avoir occupé pendant près de quarante ans les fonctions de directeur littéraire du "Mercure de France". Auteur de plusieurs pièces de théâtre, de trois recueils de poésie et de plusieurs ouvrages critiques, il s'est surtout singularisé par deux tétralogies romanesques respectivement consacrées à la Première Guerre mondiale et à la Révolution russe. "Nach Paris!", publié dans les colonnes du "Mercure de France" en 1919 puis en volume la même année, inaugure la tétralogie "guerrière" de Dumur et présente sous forme de chronique le parcours d'un soldat allemand depuis la déclaration de guerre jusqu'à la bataille de la Marne. Le choix controversé d'un narrateur allemand, le récit de l'équipée germanique à travers la Belgique, les atrocités commises tout au long de ce parcours et enfin les interrogations suscitées par ces exactions au sein même de l'armée allemande : tels sont les éléments qui permettent à Dumur de dresser un véritable réquisitoire d'autant plus important que l'œuvre est publiée alors qu'on négocie les termes du Traité de Versailles. Mais si Dumur tente de faire le procès de l'Allemagne, c'est finalement son propre procès qui se dessine dans la décennie 1920. On reproche d'abord à Dumur un excès de réalisme et presque de voyeurisme (l'épisode du viol de Mademoiselle de Saint-Elme en est le meilleur exemple). On lui reproche ensuite une certaine accointance avec les thèses de "L'Action française" : Léon Daudet lui-même salue la publication du roman devant l'Assemblée Nationale. On lui reproche enfin de se mêler de politique française alors qu'il refuse d'en prendre la nationalité et qu'il n'est pas, contrairement à un Barbusse ou à un Cendrars, un véritable témoin des événements qu'il décrit. En dépit de ces turbulences, l'œuvre connaît un succès populaire que jalousent la plupart des adversaires de Dumur. Toutefois ce succès reste tout à fait éphémère : débordé par l'actualité, le roman de Dumur, en dépit de quelques traductions et d'une tentative d'adaptation cinématographique, sombre dans un oubli rapide. Il n'est pas impossible que le succès du "Boucher de Verdun" et des "Défaitistes" (les deuxième et troisième romans de la tétralogie guerrière) ait également contribué à l’éloignement du public dans le cas de « Nach Paris ! ». Pourquoi dès lors relire Dumur aujourd'hui ? S'agirait-il de profiter du centenaire de la Première Guerre mondiale pour réinterroger des textes susceptibles de répondre peu ou prou à des problématiques contemporaines ? Le regard extérieur qui était celui de Dumur était-il susceptible de générer une vision du conflit à la fois plus juste et moins partisane ? Mais comment justifier alors la véhémence de "Nach Paris!", la violence avec laquelle s'exprime la germanophobie de Dumur et le ton très âpre de certaines descriptions qui pourraient encore aujourd'hui choquer bien des lecteurs ? Toutes ces questions, et bien d'autres encore, sont au cœur de la "revie littéraire". Théorie née dans les années 1990, la "revie littéraire" vise à faire connaître des auteurs négligés par la critique, étouffés par l'histoire, gommés par une histoire littéraire dont on peut penser qu'elle est sous-tendue par des considérations non-littéraires. "Louis Dumur en guerre" a été pensé en deux parties distinctes : la première, d'essence monographique, vise à donner une image globalisante de la pensée et de l'œuvre de Dumur, réinscrites dans son époque et dans le contexte de sa production. La seconde est une édition critique de "Nach Paris!" basée sur le manuscrit du roman conservé aux Archives Cantonales Vaudoises et sur tous les documents d'archives disponibles. C'est en effet par le truchement d'une étude scientifique solide et d'un retour aux sources de la production du roman qu'il sera possible d'en évaluer non seulement l'impact au moment de sa publication, mais d'en déterminer ce qui en a justifié, à un moment donné de l'histoire, le rejet et l'oubli.

Mots-clés : Guerre ; Réalisme ; Roman ; XXème siècle ; Mercure de France

"Nach Paris!", published in the columns of the "Mercure de France" in 1919 and then in volume the same year, inaugurates Dumur's "war" tetralogy and presents in the form of a chronicle the journey of a German soldier from the declaration of war to the Battle of the Marne. The controversial choice of a German narrator, the story of the German expedition across Belgium, the atrocities committed along the way and finally the questions raised by these exactions within the German army itself: these are the elements that allow Dumur to draw up a real indictment, all the more important since the work was published while the terms of the Treaty of Versailles were being negotiated. But if Dumur tries to put Germany on trial, it is ultimately his own trial that takes shape in the 1920s. Dumur is first criticized for an excess of realism and almost voyeurism (the episode of the rape of Mademoiselle de Saint-Elme is the best example). He is then criticized for a certain connection with the theses of the "Action française": Léon Daudet himself welcomes the publication of the novel before the National Assembly. Finally, he is criticized for getting involved in French politics while refusing to take French nationality and for not being, unlike Barbusse or Cendrars, a true witness to the events he describes. Despite this turbulence, the work enjoys a popular success that most of Dumur's opponents envy. However, this success remains completely ephemeral: overwhelmed by current events, Dumur's novel, despite a few translations and an attempt at a film adaptation, quickly fell into oblivion. It is not impossible that the success of "The Butcher of Verdun" and "The Defeatists" (the second and third novels in the war tetralogy) also contributed to this distancing of the public from "Nach Paris". So why reread Dumur today? Could it be a question of taking advantage of the centenary of the First World War to reexamine texts that are likely to respond more or less to contemporary issues? Was Dumur's external perspective likely to generate a vision of the conflict that was both fairer and less partisan? But how then can we justify the vehemence of "Nach Paris!", the violence with which Dumur's Germanophobia is expressed, and the very harsh tone of certain descriptions that could still shock many readers today? All these questions, and many more, are at the heart of the "literary revie". A theory born in the 1990s, the "literary revie" aims to make known authors neglected by critics, stifled by history, erased by a literary history that one might think is underpinned by non-literary considerations. "Louis Dumur at war" was conceived in two distinct parts: the first, essentially monographic, aims to give a globalizing image of the thought and work of Louis Dumur, re-inscribed in his time and in the context of his production. The second is a critical edition of "Nach Paris!" based on the manuscript of the novel preserved in the Archives Cantonales Vaudoises and on all available archival documents. It is indeed through a solid scientific study and a return to the sources of the production of the novel that it will be possible to evaluate not only its impact at the time of its publication, but to determine what justified, at a given moment in history, its rejection and oblivion.

Keywords : War ; Realism ; Novel ; XXth century ; Mercure de France


Directeur de thèse : François JACOB

Membres du jury : 
- M. JACOB François, Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, France, Directeur de thèse
- Mme ROYNETTE Odile, Professeure des universités, Université de Bourgogne, Dijon, France, Rapporteure
- Mme CROGIEZ Michèle, Professeure ordinaire, Université de Berne, Suisse, Rapporteure
- M. LECROART Pascal , Professeur des universités, Université de Franche-Comté, France,
- M. CLAVIEN Alain, Professeur ordinaire, Université de Fribourg, Suisse.

Présidence du jury : Pascal LECROART