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SAISON Olivier

Le Roman comique ou les prolégomènes d’une fronde narrative : la métalepse, des histoires comiques du XVIIe siècle aux romans postmodernistes nord-américains

Publié le 15 septembre 2023 Mis à jour le 15 septembre 2023

Thèse en Littérature, soutenue le 11 septembre 2023.

L’étude de la métalepse montre que les formes et les raisons de son utilisation ont considérablement changé depuis les « histoires comiques » du XVIIe siècle jusqu’aux romans postmodernistes nord- américains du XXe siècle.
Chargée de fluidifier le récit dans son usage rhétorique, cette figure qui se manifeste principalement par l’intervention plus ou moins tapageuse d’un narrateur dans son propre récit, s’est vue assigner au fil du temps une fonction de plus en plus marquée dans le champ de l’ontologie - jusqu’à fusionner récemment avec la diégèse sous une forme nouvelle et paradoxale que nous nommons « fictionnalisée ».
Son évolution terminologique, fruit des recherches narratologiques initiées par Gérard Genette, reflète par conséquent celle du rapport qu’entretient l’auteur avec sa narration en particulier et avec l’esthétique romanesque en général. Elle signale à l’inverse la permanence d’une ambivalence partagée par tous ses utilisateurs, entre amour de la fiction et désir de l’interroger, prédilection pour les histoires et contestation ironique de leur pouvoir. L’emploi de ce trope et la dualité rémanente des œuvres en faisant usage ont ainsi permis de mettre en évidence un lignage solide, à travers les siècles et les continents, entre certaines œuvres frondeuses qui ont cherché à modifier, de manière plus ou moins radicale, le pacte romanesque en cours à leur époque.
Le Roman comique de Paul Scarron a ainsi semé en terre fictionnelle des graines irrévérencieuses qui, de Laurence Sterne à Robert Coover en passant par Diderot et Machado de Assis, du jeune Marivaux à John Barth en passant par Donald Barthelme, s’épanouiront plus tard en fleurs bigarrées et parfois vénéneuses, aux racines profondes et mutuelles. Parmi ces ancêtres communs, Don Quichotte de Cervantès occupe une place privilégiée.
Toutefois, d’autres forces, scientifiques et philosophiques, ne sont pas étrangères au recours à la métalepse dans le roman de ces quatre derniers siècles : le scepticisme, le matérialisme puis, pour finir, la physique quantique. L’influence qu’elles ont pu exercer sur les œuvres de notre corpus explique et trahit, chez leurs auteurs, la volonté croissante de rendre leurs fictions perméables à ce que, faute de mieux, nous appelons le « réel » : une exigence qui se situe, contre toute attente, à l’opposé de la réorganisation mimétique de la réalité pratiquée par les romans réalistes, et qui se manifeste dans leur processus créatif par des bifurcations surprenantes voire sulfureuses. Car appréhender la métalepse, c’est en fin de compte, appréhender la question de notre rapport plus ou moins ambigu, en tant que lecteurs, à la réalité et à ses représentations.


Mots-clés : métalepse, Roman Comique, romans Postmodernistes, Sterne, Diderot, Marivaux, De Assis, Coover, Barth, Barthelme, David Foster Wallace, Gassebdi, Physique quantique

The study of metalepsis shows that the forms of and reasons for its different uses have changed considerably from the “histoires comiques” of the French 17th century to the North American postmodernist novels of the 20th century.
Charged initially in its rhetorical use with making a story more fluent, this figure which manifests itself mainly through the more or less rowdy intervention of a narrator in his own story, has overtime been assigned an increasingly marked function in the field of ontology - until fusing recently with diegesis in a new and paradoxical form that we call "fictionalised" metalepsis.
Its terminological evolution, the result of narratological research initiated by Gérard Genette, thus reflects that of the relationship that the author maintains with his narrative in particular, and with the aesthetics of the novel in general. Conversely, it draws attention to the permanency of an ambivalence shared by all its users, between a love of fiction and a desire to question it, a predilection for stories and an ironic contestation of their power.
The use of this trope, and the remanent duality of the works making use of it, have therefore made it possible to highlight a solid lineage, across centuries and continents, between certain “rebellious” works (with reference to the French “Fronde” period) that sought to shift, in a more or less radical way, the implicit contract with their contemporary readers.
Paul Scarron's Roman comique thus sowed irreverent seeds in fictional soil which, from Laurence Sterne to Robert Coover via Diderot and Machado de Assis, from the young Marivaux to John Barth and Donald Barthelme, would later sprout and flourish in variegated and sometimes poisonous flowers, with deep and mutual roots. Among these common ancestors, Don Quixote by Cervantes holds a privileged position.
However, other forces, both scientific and philosophical, may not be unrelated to the use of metalepsis in the novel of the last four centuries: skepticism, materialism and, finally, quantum physics have to be mentioned. The influence they exert on the works in our corpus explains and unveils, among their authors, the growing desire to make their fictions permeable to what, for lack of a better word, we call the "Real": a requirement that lies, against all expectation, at the opposite of the mimetic reorganization of reality practiced by realistic novels, and which results in surprising, even transgressive bifurcations in the course of their creative process - because grasping metalepsis is ultimately grasping the question of our more or less ambiguous relationship, as readers, to reality and its representations.

Keywords:  Metalepsis, roman comique, postmodernist novels, Sterne, Diderot, Marivaux, De Assis, Coover, Barth, Barthelme, David Foster Wallace, Gassendi, Quantum Physics, 


Directeur de thèse : Jean-Philippe PIERRON et Didier VINOT

Membres du jury :
- Mr LEPLATRE Olivier, Directeur de thèse, Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3,
- Mme BARON Christine, Rapporteure, Professeure des universités, Université de Poitiers,
- Mme LAVOCAT Françoise, Rapporteure, Professeure des universités, Université Sorbonne Nouvelle, Paris,
- Mr DAYRE Eric, Professeur des universités, Ecole Normale Supérieure, Lyon,
- Mr FRANCÈS Cyril, Maître de confèrences, Université Jean Moulin Lyon 3,
- Mme VIVIER Siglène, Maître de confèrences, Université d'Artois, Arras.

Président du jury : Christine BARON