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PEREZ Claire

Discours et figures du pouvoir dans les Historiae Alexandri Magni de Quinte-Curce

Publié le 2 décembre 2022 Mis à jour le 28 mars 2023

Thèse en Lettres, Langues, Linguistiques, Arts, soutenue le 2 décembre 2022.

Cette thèse porte sur le rôle des discours dans la représentation des personnages dans les Histoires d’Alexandre le Grand de Quinte-Curce, une œuvre d’historiographie latine écrite au Ier siècle ap. J.-C. Ce travail adopte une double perspective. L’une est technique, puisqu’il s’agit d’étudier la fonction des discours dans le récit de l’Histoire. L’autre concerne la réception de la figure d’Alexandre le Grand à Rome et la réélaboration des personnages au service de l’utilité de l’œuvre pour le présent romain.
Dans un premier temps, nous tentons de cerner les outils que l’art oratoire met à disposition de l’historien, dans le cadre de l’écriture d’une historia ornata, pour concevoir et représenter ses personnages. Nous évaluons la pertinence de la notion rhétorique de persona pour penser la technique du portrait des figures historiques. Nous examinons d’abord les supports de la caractérisation qui ne relèvent pas des discours : la composition épisodique de l’œuvre, le commentaire du narrateur et son usage de l’éloge et du blâme, ainsi que la narration d’actions. Puis nous interrogeons le principe généralement admis selon lequel les discours relèvent de la caractérisation indirecte, en étudiant la manière dont Quinte-Curce met en œuvre le principe esthétique et rhétorique du decorum. Enfin, nous examinons la forme et le statut des portraits qui sont délégués à la voix des personnages et sont fondés sur les outils de l’éloquence épidictique et judiciaire.
Nous étudions dans un deuxième temps le rôle des discours dans le portrait d’Alexandre. Ce développement est organisé autour des deux aspects politiques qui intéressaient au premier chef les Romains dans cette figure : sa caractérisation en tant que conquérant et en tant que roi. Nous traitons cette problématique selon trois axes. Le premier est d’ordre technique et décrit la manière dont l’historien orchestre la polyphonie du texte pour construire ce portrait, qu’il s’agisse de représenter le personnage en paroles, de problématiser son interprétation ou de dévoiler ce que cachent ses discours. Les deux autres axes concernent la représentation ainsi composée : nous la situons dans les traditions de réception d’Alexandre, mais également, nous interrogeons le rôle des discours dans « l’actualisation » du matériau historique et la construction de savoirs politiques pertinents pour le présent romain. Nous mettons en lumière leur rôle dans l’élaboration d’un « miroir du prince » et l’ancrage de celui-ci dans les discussions contemporaines sur le bon dirigeant.
Enfin, nous examinons la réflexion que porte l’œuvre sur la place de la parole au sein d’un régime monarchique. Tout d’abord, nous traitons la thématique de la dissimulation, en montrant que la tyrannie, chez Quinte-Curce, a pour caractéristique de briser le lien entre intentions et discours et de théâtraliser les relations socio-politiques. Nous étudions ensuite l’importance du thème de la liberté de parole dans l’œuvre et examinons le personnage-type du conseiller. Nous montrons que l’on peut lire l’ouvrage comme un « miroir du conseiller du prince » qui réfléchit sur le positionnement du conseiller face au pouvoir. Enfin, nous abordons la thématique de la construction de la mémoire du roi. Quinte-Curce fait de son protagoniste un homme obsédé par le renom qu’il lèguera à la postérité ; nous analysons l’usage de la polyphonie dans le traitement de cette problématique et montrons sa portée métahistorique, car la voix de l’historien s’affirme contre le récit héroïque et individué qu’essaie d’imposer le personnage. Nous dressons dans ce troisième développement des parallèles entre l’écriture de Quinte-Curce et celle d’un autre historien impérial, à savoir Tacite, pour montrer combien l’auteur des Histoires imprègne son œuvre de l’expérience du Principat et pour lui donner sa place dans l’historiographie née du retour à Rome du régime personnel.

Mots clés : Quinte-Curce – Alexandre le Grand – réception d’Alexandre le Grand – rhétorique – historiographie

This dissertation focuses on the role of speeches in the representation of characters in Curtius Rufus’ Histories of Alexander the Great, written in the first century AD. I adopt a double perspective. From a rhetorical perspective, I study the function of speeches in the historiographical narrative. I also examine the reception of Alexander the Great in Rome and the re-elaboration of the historical characters to serve the work's usefulness for the Roman present.
Firstly, I identify the tools that oratory puts at the historian's disposal to conceive and represent his characters. I assess the relevance of the rhetorical notion of persona to conceptualize and describe Curtius’ characterization technique. I first examine the episodic composition of the work, the narrator's commentary and use of praise and blame, and the narration of actions. I then question the generally accepted principle that speeches are tools for indirect characterization by examining the way in which Curtius implements the aesthetic and rhetorical principle of decorum. Finally, I examine the form and status of portraits that are delegated to the voice of the characters and are based on the tools of epidictic and judicial eloquence.
Secondly, I examine the function of speeches in Alexander's portrait. This study is organised around the two political aspects that interested the Romans most in this figure: his characterisation as a conqueror and as a king. In both these chapters, I describe the way in which the historian orchestrates the polyphony of the text in order to construct this portrait, whether he represents the character through his words, problematises his interpretation or reveals what is hidden behind his speeches. I also examine the substance of this representation of Alexander, and attempt to situate it in the traditions of Alexander's Roman reception. I also describe the role speeches play in the actualisation of the historical material and the construction of political knowledge relevant to the Roman present. They play an important part in the elaboration of a "mirror for princes", which is anchored in contemporary discussions on the good ruler.
Finally, I examine Curtius’ reflection on speech within a monarchical regime. Firstly, I deal with the theme of dissimulation and show that Curtius conceptualizes tyranny as a kind of regime that breaks the link between intentions and speech and turns society into a theatre. I then examine the theme of freedom of speech in the work and the character-type of the advisor. I demonstrate that the work can be read as a guide for the prince’s advisor, which reflects on his position in relation to power. Finally, I address the construction of the king's memory and the metahistorical significance of this theme. Curtius makes his protagonist a man obsessed with the reputation he will bequeath to posterity and uses polyphony to assert his voice as a historian against the heroic and individualistic narrative that the character tries to impose. In this third development, I draw parallels between Curtius’ writing and that of another imperial historian, namely Tacitus, in order to show that the author of the Histories of Alexander is imbued with the experience of the Principate and that his work belongs to the type of Roman historiography that this particular regime gave rise to.

Keywords : Curtius Rufus – Alexander the Great – reception of Alexander the Great – rhetoric – historiography

Directrice de thèse : Marie LEDENTU

Membres du jury :
- Mme LEDENTU Marie, Directrice de thèse, Professeure des Universités, Université Jean Moulin Lyon 3,
- Mme ARBO Agnès, Rapporteure, Professeure des Universités, Université deStrasbourg UNISTRA,
- M. GALTIER Fabrice, Rapporteur, Professeur des universités, Université de Clermont-Auvergne, Clermont-Ferrand
- M. BUREAU Bruno, Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3,
- M. DEVILLERS Olivier, Professeur des universités, Université Bordeaux Montaigne,
- Mme VAN MAL MAEDER Danielle, Professeure, Université de Lausanne, Suisse.

Président du jury : Bruno BUREAU