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NONFODJI Kokou Clément
Le rôle politique des missionnaires catholiques au Dahomey (1841-1913) : catholicisme et construction d’espace étatique
Thèse en Sciences Sociales, soutenue le 15 décembre 2023.
L’étude du rôle politique des missionnaires catholiques dans la construction d’un espace étatique relève d’une gageure parce qu’elle met en évidence un véritable paradoxe. Ontologiquement, en tant qu’ouvriers de l’Évangile, les missionnaires ne sont pas destinés à faire de la politique. Mais à partir de 1841, dans un cadre géopolitique des rivalités commerciales entre le Portugal, l’Allemagne, l’Angleterre et la France, les négociants français, installés à Ouidah, soutenus par des politiques français font recours aux missionnaires catholiques pour l’évangélisation du Dahomey dans le but d’y accroître l’influence française. Le Saint-Siège répond à cet appel non pas pour des raisons politiques et commerciales mais au nom de la théologie de l’espace, c’est-à-dire de l’impératif de l’expansion missionnaire dans les contrées où l’Évangile n’est pas encore annoncé. Il confie alors la juridiction ecclésiastique du Dahomey par le bref pontifical du 28 août 1860, aux Pères de la Société des Missions Africaines. Appelés dans ce contexte à évangéliser les Danhoméens, et munis de la théologie de leur temps, ils ont estimé que leur projet était incompatible avec les coutumes danhoméennes comme les sacrifices humains, la réduction en esclavage et la religion traditionnelle qu’est le vodun. Leur apostolat s’est donc donné pour visée de « libérer » le peuple dahoméen de tout ce qu’ils jugeaient être des formes de servitudes, pour l’introduire dans une « civilisation chrétienne » qui était aussi une civilisation européenne. Selon une telle optique, ils n’ont pas hésité à soutenir l’expédition militaire de la France contre le royaume du Danhomè. Dans leurs diverses correspondances et dans leurs rapports annuels envoyés aux instances romaines, ils ont fait savoir que les populations dahoméennes étaient disposées à recevoir la foi catholique et qu’il fallait vaincre le pouvoir royal du Danhomè qui interdisait la christianisation de son royaume et son ouverture aux préceptes de l’Évangile. Ils encouragent ainsi, à partir de 1889, la conquête coloniale du Dahomey pour des raisons avant tout religieuses. Après la chute de la monarchie danhoméenne en 1893, une ère nouvelle d’évangélisation s’est ouverte au Dahomey où le mouvement vers le catholicisme s’est accentué. Les missionnaires ont doublé leur effectif. Développant une stratégie raisonnée, ils se sont lancés dans l’appropriation territoriale du Dahomey, en commençant par couvrir sa partie méridionale, plus facilement accessible, de stations missionnaires, d’écoles, de fermes et d’œuvres d’éducation de l’enfance. Très vite, les missionnaires ont pris conscience que l’avenir du catholicisme dépendait de l’éducation des enfants. D’où la multiplication des missions catholiques pour réunir et retenir les enfants. Par le fait même que le Dahomey soit devenu français, il s’est ouvert à l’action complète des missionnaires qui jouissent d’une entière liberté pour le culte catholique. D’après les sources européennes, les chefs traditionnels s’opposent de moins en moins à la catholicisation des populations et collaborent avec les missionnaires, qui à leurs yeux représentent aussi la puissance occupante. Selon la même logique, les populations les accueillent volontiers et demandent même leur installation au milieu d’elles. Des asiles dans lesquels des malades et vieillards sont soignés et baptisés se sont multipliés. Même si les chiffres de baptêmes restent des indicateurs bien superficiels, grâce notamment aux dispensaires et asiles qui se présentent comme de bons moyens d’évangélisation, le nombre des chrétiens a connu une certaine croissance de 1894 à 1913. Par l’appropriation territoriale de tout le Bas-Dahomey en 1913, les Pères de la Société des Missions Africaines ont finalement œuvré à l’émergence de l’élite dahoméenne et ont posé les jalons de la future nation dahoméenne en mettant en relation des peuples d’ethnies différentes.
Studying the political role of Catholic missionaries in the construction of a state is a challenge because it highlights a real paradox. Ontologically, as workers for the Gospel, missionaries were not destined to engage in politics. But from 1841 onwards, in a geopolitical context of commercial rivalries between Portugal, Germany, England and France, French merchants based in Ouidah, supported by French politicians, turned to Catholic missionaries to evangelise Dahomey with the aim of increasing French influence there. The Holy See responded to this appeal not for political or commercial reasons, but in the name of the theology of space, which is the imperative of missionary expansion into regions where the Gospel had not yet been proclaimed. In the papal brief of 28 August 1860, he entrusted ecclesiastical jurisdiction in Dahomey to the Fathers of the Society of African Missions. Called upon in this context to evangelise the Dahomeans, and equipped with the theology of their time, they felt that their project was incompatible with Dahomean customs such as human sacrifice, enslavement and the traditional religion of vodun. The aim of their apostolate was therefore to "liberate" the Danhomian people from what they considered to be forms of servitude, and introduce them to a "Christian civilisation" that was also a European civilisation. With this in mind, they did not hesitate to support France's military expedition against the kingdom of Danhomè. In their various letters and annual reports sent to the Roman authorities, they made it known that the people of Dahome were ready to accept the Catholic faith and that the royal power of Danhomè, which prohibited the Christianisation of its kingdom and its openness to the precepts of the Gospel, had to be defeated. From 1889 onwards, they encouraged the colonial conquest of Dahomey for primarily religious reasons. After the fall of the Dahomean monarchy in 1893, a new era of evangelisation opened up in Dahomey, where the movement towards Catholicism intensified. The missionaries doubled their numbers. Developing a well-thought-out strategy, they set about taking territorial control of Dahomey, starting by covering the more easily accessible southern part with mission stations, schools, farms and children's education centres. The missionaries soon realised that the future of Catholicism depended on the education of children. Hence the multiplication of Catholic missions to gather and retain children. The very fact that Dahomey had become French opened it up to the full action of the missionaries, who enjoyed complete freedom for Catholic worship. According to European sources, the traditional chiefs were less and less opposed to the Catholicisation of the population and collaborated with the missionaries, who in their eyes also represented the occupying power. By the same token, the local people welcomed the missionaries and even asked for them to live among them. Asylums in which the sick and elderly were cared for and baptised multiplied. Even though baptism figures were still very superficial indicators, thanks in particular to the dispensaries and asylums which were good means of evangelisation, the number of Christians increased somewhat between 1894 and 1913. With the territorial appropriation of the whole of Lower Dahomey in 1913, the Fathers of the Society of African Missions finally worked towards the emergence of the Dahomean elite and laid the foundations of the future Dahomean nation by bringing together peoples of different ethnicities.
Keywords: Political role ; Dahomey ; Kingdom ; Catholicism ; Colonisation ; Missionary ; Space ; Mission ; Theology of space ; Territorial appropriation ; Theology of mission ; Theological anthropology ; Inculturation ; Secularisation ; Political influence
Directeur de thèse : Philippe DELISLE
Membres du jury :
- M. MOULINET Daniel, Co-directeur de thèse, Professeur, Université Catholique de Lyon, France,
- Mme LAUX Claire, Rapporteure, Professeure, Science-Pô Bordeaux, France,
- M. TOSSOU Rogatien, Rapporteur, Professeur, Université d'Abomey-Calavi, Bénin.
Président du jury : Rogatien TOSSOU