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Les principes en droit

Publié le 3 janvier 2008

Le colloque "Les principes en droit" s'est tenu à la Manufacture des Tabacs les 13 et 14 décembre 2007. Colloque organisé par l'Équipe de droit public de l'Université Jean Moulin Lyon 3.

La première matinée du colloque était consacrée à l'approche théorique des principes. Le professeur Guillaume Tusseau a présenté les travaux de Ronald Dworkin, Robert Alexy et de Manuel Atienza et Juan Ruiz Manero. Ces théoriciens du droit de tendance analytique proposent une typologie des éléments des discours juridiques, incluant les principes, considérés comme des normes distinctes des règles. Guillaume Tusseau a mis en évidence le fait que la distinction des principes et des règles, qui permet notamment de soutenir la thèse de l'absence de pouvoir discrétionnaire des juges, repose sur une « pétition de principe », un sophisme dissimulant une ontologie essentialiste critiquable. « L'invention des principes » - le titre retenu par le professeur Eric Maulin souligne  toute l'ambiguïté qui entoure la production des principes, entre création et découverte. Les principes dont parle Eric Maulin ne sont pas des normes juridiques mais des fondements de l'ordre juridique comme le principe de la souveraineté nationale ou le principe selon lequel la loi est l'expression de la volonté générale. Ces principes se manifestent essentiellement sous trois formes : la déclaration, la tradition et la fondation. Le professeur Pierre Brunet a ensuite eu la gentillesse de présenter la contribution du professeur Riccardo Guastini, absent pour des raisons de santé. « Source de perplexité » depuis les premiers écrits de Ronald Dworkin (1967), le concept de principes, normes indéterminées, défectibles, (open texture) et dotées d'une valeur axiologique, ne déterminent pas une solution précise à l'issue d'un raisonnement juridique mais se contentent d'orienter. Les conflits de principes sont résolus grâce à une « hiérarchie axiologique mobile », créée par le juge au moyen d'un jugement de valeur et susceptible d'être renversée dans un cas d'espèce différent. Riccardo Guastini précise qu'il faut distinguer les principes explicites des « principes implicites », qui ne trouvent aucune formulation et qui sont simplement latents dans le système juridique. Il s'interroge enfin sur la compatibilité du concept de principes avec le positivisme juridique, en particulier avec la thèse de la séparation du droit et de la morale. Le professeur Antoine Jeammaud a parfaitement mis en lumière la « polysémie » du terme principe, constatant la multiplicité de ses occurrences et de ses significations aussi bien dans le langage du droit que dans celui des juristes. Il estime que le langage des juristes doit prendre ses distances avec le langage du droit et qu'il convient donc de retenir une définition stipulative du terme principe. Les principes seraient caractérisés par leur haut degré de généralité, leur rapport aux valeurs morales, leur caractère fondamental ou matriciel, mais non pas leur extratextualité. Au cours des deux demi-journées suivantes, les principes ont été abordés au fil des disciplines juridiques : l'histoire du droit tout d'abord, avec le professeur David Deroussin qui a avoué les difficultés rencontrées pour trouver les traces de principes en droit romain ; le droit privé ensuite, lequel constitue, selon le Professeur Frédéric Zénati-Castaing, « l'enfance des principes » : ces derniers sont la base du droit français et plus largement du système romano-germanique. S'agissant du droit pénal, Julie Daniel a  mis en exergue le mouvement de formalisation des principes, lequel n'implique pas pour autant leur obsolescence. En droit de l'environnement, le Professeur Jean Untermaier a dégagé une typologie des principes au sein de laquelle il distingue les principes normatifs, les droits, les devoirs, les concepts porteurs d'autres principes, et enfin les standards. Après avoir fait part de la difficulté qu'il y a à distinguer les règles et les principes en droit financier, le professeur Jean-Luc Albert a évoqué la démultiplication des principes, de nouveaux principes venant s'ajouter au « carré magique » formé par les quatre principes budgétaires traditionnels. Enfin, le doyen Olivier Négrin a expliqué que le droit fiscal était le siège à la fois de principes communs et de principes spécifiques. Ce sont les constitutionnalistes qui ont ouvert la deuxième journée du colloque, le professeur Michel Verpeaux tout d'abord, puis le professeur Véronique Champeil-Desplats, qui a évoqué « la Révolution permanente » avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui constitue à la fois un « droit vivant » et le « support de l'activisme du juge constitutionnel ». En droit administratif, le professeur Pierre Brunet s'est interrogé sur l'avenir des « principes généraux du droit », prédisant leur substitution par de simples « principes », comme en témoigne l'arrêt « société KPMG » du Conseil d'Etat consacrant le principe de sécurité juridique. Le professeur Jean-François Sestier a ensuite traité les principes de la commande publique, interrogeant notamment la notion de « droit commun ». Présentant les principes comme « la feuille de vigne d'une normativité molle » et affirmant que l'« on se trouve plus proche de Derrida que de Saussure », le professeur Denys Simon  a mis en lumière « l'hétérogénéité matérielle et formelle des principes en droit communautaire » ainsi que leur « pluralité fonctionnelle ». Le professeur Mireille Couston a conclu la matinée en dressant une typologie des principes en droit international. La dernière après-midi du colloque était réservée à une table ronde présidée par le professeur Jean du Bois de Gaudusson et réunissant les membres des plus hautes juridictions, le conseiller d'Etat Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l'homme, le conseiller d'Etat Bruno Genevois, ancien Président de la section du Contentieux du Conseil d'Etat et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel et enfin Pierre Sargos, Président de chambre à la Cour de cassation. C'est à un philosophe, le professeur François Guéry, qu'est revenue la tâche de clore le colloque, en s'interrogeant sur la question « peut-on se passer des principes aujourd'hui ? », à laquelle il a résolument répondu par la négative !