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La Norme religieuse dans l’Antiquité

Publié le 18 janvier 2008 Mis à jour le 22 janvier 2008

Le colloque sur La Norme religieuse dans l’Antiquité, organisé par le CEROR (Centre d’Études et de Recherches sur l’Occident Romain) de Lyon 3, et par Hisoma (Histoire et Sources des Mondes des Mondes Antiques/ Maison de l’Orient et de la Méditerranée) de Lyon 2, s’est tenu les 14 et 15 décembre 2007 à la MOM.

Cette rencontre bénéficiait du soutien du CPER La norme romaine (Région Rhône-Alpes). Elle s'est tenue sous le haut patronage de John Scheid, professeur au Collège de France, qui a introduit la réflexion sur la norme religieuse et a rassemblé brillamment les conclusions de ces trois demi-journées. Le colloque a réuni des enseignants-chercheurs de Lyon 3 (Mesdames A. Groslambert, C. Wolff et B. Cabouret, organisatrice du colloque ; Messieurs M. Debidour et F. Bérard), de Lyon 2 (Mesdames J. Dalaison et M.-O. Laforge, organisatrice du colloque) et d'autres Universités ou Institutions (Monsieur M. de Souza - Saint-Étienne ; Mesdames E. Smadja - Université de Franche-Comté, Meriem Sebaï - Docteur en Histoire, Annie Dubourdieu -Paris IV, Annie Vigourt - Paris IV ; N. Belayche -EPHE). Le colloque posait la question de la norme à propos de la religion romaine antique : s'il est vrai que celle-ci était une religion sans dogme ni révélation, cela implique qu'il n'existait ni orthodoxie, ni hérésie. S'imposait pourtant une norme impérative, celle de la stricte observance du rituel : on peut dès lors parler d'orthopraxie (John Scheid). Les différentes communications, qui illustraient l'application (ou la transgression) de cette norme, ont permis de montrer que la norme peut être définie comme un cadre général, un ensemble de principes qui font qu'une conduite religieuse correspond à la tradition des ancêtres (le mos maiorum). L'important est, en règle générale, moins ce qu'on fait précisément que la manière dont on le fait. Cette norme vaut pour l'ensemble d'une religion, pour des appréciations globales aussi bien que pour tel ou tel culte, dédié aux divinités ou à l'empereur. Le colloque a examiné différentes modalités de l'invocation ou de la transmission de la norme, d'un point de vue conceptuel ou à travers des exemples précis. Ainsi la terminologie a montré que longtemps la norme ne fut pas définie positivement, mais plutôt négativement, sous forme d'interdits. Cette caractéristique fondamentale n'a jamais disparu, puisqu'elle est attestée en Afrique pendant les premiers siècles de l'Empire. L'effort de conceptualisation qui se produisit à Rome au cours du Ier s. av. J.-C. suscita la floraison des traités et des reconstructions religieuses et conduisit peu à peu à une définition positive de la norme, de la religion, comme devant comporter un certain nombre d'actes à faire, et non seulement à ne pas faire.

Deux exemples montrent avec quelle véhémence la norme était parfois affirmée et défendue.

Le scandale des Bacchanales, en 186 av. J.-C., est un exemple privilégié pour réfléchir à cette question, puisque, tout au long du récit de Tite Live, on voit se construire en creux, par le scandale et les pratiques illicites, une opposition entre ce qui est la norme et ce qui ne l'est pas. C'est évidemment la manière dont on célèbre ces cultes qui heurtait la norme : pour les autorités de l'époque - ou pour Tite Live - la religion ancestrale était ouverte, commune, et non clandestine ; elle était dirigée par des Romains, par des hommes, issus de l'élite ; la divination était strictement contrôlée, et surtout elle devait servir le salut et le bien-être du peuple Romain et non pas déboucher sur une conjuration contre les Romains. Par les différentes accusations, une fois de plus formulées de manière négative, la norme émerge en creux, tout comme quelques siècles plus tard, l'exemple des brigands, magiciens et voleurs met en scène une contre-norme. Ces gens sacrifient, mais ils offrent des humains, ils consomment des banquets sacrificiels, mais de chair humaine, contrairement à ce qui est licite d'après la norme commune. Pour les historiens de la religion, les anecdotes, les déviances et les scandales sont donc très utiles pour reconstruire par fragments la norme ancestrale. D'une autre manière, les coutumes religieuses des colonies de l'Anatolie romaine (exemple d'Amaseia du Pont) attestent que la déduction coloniale n'a jamais imposé qu'un cadre général quant aux devoirs religieux et aux institutions religieuses des nouvelles cités. La romanisation propose un concept religieux plus qu'un contenu, et il est passionnant de voir évoluer les institutions et les divinités locales, « indigènes » dans ce cadre romain, de même qu'en Afrique les éléments et les vocables du culte impérial évoluent suivant des traditions locales et en fonction des intérêts locaux. En prenant un peu de recul, on a pu se demander si la relative généralité de la norme religieuse des Romains, semblable à celle de la plupart des peuples du monde antique, ne fut pas un des éléments de la réussite de l'Empire romain qui fit vivre côte à côte, dans un même ensemble, des communautés humaines et culturelles fort diverses, héritage de la vieille tradition romaine et latine de l'alliance entre cités. On perçoit également, de ce point de vue, les raisons de l'incompréhension entre les Romains traditionnalistes et les chrétiens. Alors que ceux-ci prétendaient qu'en confessant leur foi en un Dieu unique ils ne faisaient rien de répréhensible, les Romains invoquaient la norme religieuse commune : il était interdit d'exclure les autres dieux de la piété. Celle-ci exigeait des gestes précis et non une foi profonde, du moins professée et exclusive. Bref, il est indéniable que la norme religieuse romaine, forgée par l'histoire, peut rendre compte de la plupart des comportements des Romains et ce fut tout l'intérêt du colloque que de l'éclairer par des exemples empruntés à des espaces et des périodes très divers, de la République romaine à l'Antiquité tardive.