• Recherche,
  • Droit,

FRIEDSEN Aiyada

Christopher Moore : récriture du retournement dans la trilogie Pine Cove

Publié le 19 septembre 2025 Mis à jour le 19 septembre 2025

Thèse en Lettres, soutenue le 18/03/2025.

La lecture de l’œuvre de Christopher Moore, écrivain américain contemporain de comic fantasy, promet un voyage au cœur d’aventures mouvementées, rythmées par de multiples rebondissements et contre-rebondissements loufoques bien souvent à l’image des protagonistes qui peuplent ses romans. Ceux-ci puisent en effet à la fois dans la fantasy et l’humour afin de perturber profondément l’ensemble de la trame narrative, donnant l’impression au lecteur de perdre rapidement pied dans une histoire chaotique. Si la plume de cet auteur prolifique, souvent perçu comme un satiriste habile, repose effectivement sur l’élaboration de récits haletants et excentriques, se contenter d’identifier son univers littéraire comme relevant de la comic fantasy ne peut cependant suffire à caractériser ce dernier avec justesse dans la mesure où le surnaturel et l’humour ne peuvent à eux seuls justifier tous les effets déstabilisants du texte, l’écriture moorienne révélant une dynamique plus complexe fondée sur le retournement. Examinées à l’aune de ce concept dont la riche étymologie gréco-latine (tornos, tornare) remonte au XIIème siècle, les péripéties, initialement perçues comme des ressorts narratifs se déclenchant de façon aléatoire, voire capricieuse, révèlent une plus grande profondeur et des stratégies plus élaborées. En effet, l’écriture du retournement exprime d’abord le renversement – d’une situation, d’un rapport de force, d’un personnage ou encore d’une figure – et apporte une dimension subversive aux récits. Au contraire de la notion d’inversion qui suggère un axe spatial encore repérable, le retournement peut aussi désigner l’égarement, la perte de repères plus essentiels à mesure que personnages et lecteurs subissent les effets du retournement. Bien que le texte permette également un mouvement de retour ou repli, réconfortant au premier abord car il ramène au familier et s’oppose fondamentalement aux éléments déstabilisateurs du récit, ce retour s’avère rapidement troublant, le familier rassurant laissant place à de profondes angoisses existentielles, souvent refoulées, et que les romans, en utilisant les mécanismes du retournement, s’emploient précisément à exposer brutalement au grand jour. Pourtant, devant la peur de l’inconnu et du vide, le récit demeure empreint de positivité et d’espoir, car le retournement signifie également se tourner vers l’autre, se mettre en lien avec lui. Dès lors, on est invité à s’interroger, devant tant de manifestations du retournement, sur leur portée véritable, à déterminer si, derrière les effets parfois vertigineux de sens dessus dessous par lesquels plus rien ne semble faire sens, l’œuvre de Moore ne propose pas précisément de retrouver un sens – redonner du sens à ce qui nous entoure, mais aussi retrouver une direction dans notre existence. En utilisant pour corpus la trilogie Pine Cove (1992-2004) qui comprend le tout premier roman de Moore Practical Demonkeeping, suivi de The Lust Lizard of Melancholy Cove et The Stupidest Angel, cette étude s’attachera à montrer que l’écriture moorienne est une écriture du retournement dont la finalité dépasse de loin la sphère du divertissement, ses multiples effets nous encourageant à repenser nos codes – des canons littéraires aux questions sociétales les plus sensibles – et offrant paradoxalement, à travers l’échappée dans le monde de la fantasy, une autre prise sur le monde qui nous entoure.
 

Mots-clés : Retournement ; Retourner ; Retour ; Renversement ; Inversions ; Subversion ; Chaos ; Désordre ; Comic fantasy ; Fantasy ; Surnaturel ; Imaginaire ; Humour ; Satire ; Contemporain ; Christopher Moore ; États-Unis ; Californie ; Américain ; Romans ; Trilogie Pine Cove
 


Christopher Moore is a contemporary American comic fantasy novelist whose works often herald breathtakingly fast-paced adventures commanded by quirky plot twists and counter twists; these twists mirror the characters, who turn out to be equally zany. The use of fantasy and humor profoundly disrupts the storyline with a plethora of powerful, outlandish shifts and turnarounds in the flow of events. As a consequence, the reader quickly loses their bearings, perceiving the story as resting on flimsy foundations and offering nothing more than a sense of chaos. However, if Moore is seen as a satirist who skillfully blends fantasy and humor to mold seemingly shallow stories, merely labelling his works as being part of comic fantasy fails to account for their powerfully unsettling effects. Beyond showcasing his successful combination of humor and fantasy, Moore’s writing technique uncovers a more complex dynamics of reversals. The French word retournement, which is based on a Greek and Latin etymology and dates back to the twelfth century (tornos, tornare), points to varied meanings. Thus, the plot twists, initially viewed as random or whimsical, now reveal a subtler dimension in which they play a more specific role. The aesthetics of reversal first emphasizes the idea of something being turned upside down; beyond the overturning of a situation, the twists partake, for instance, in the inversions of the protagonists’ trajectories throughout the unfolding plot, the sudden shift in the balance of power between two entities, or even the inversion of a character’s or a figure’s traits, adding a subversive dimension to the story. Conversely, the French etymology, which initially implies spatial orientation, also encompasses the idea of disorientation, thus shedding light on the characters’ and readers’ more essential sense of loss as they are subjected to countless reversal effects. Reversal also equates to moving in reverse. In this respect, this movement might be construed as reassuring, leading one to revert to shared knowledge and to oneself, countering the whole destabilizing dynamics at work. Yet, moving in reverse soon proves to be daunting, as it unveils our deepest fears – ones which Moore’s texts precisely expose through the use of reversal. In spite of the fear of the unknown and of nothingness, the story can still exude a sense of positivity and hope, since the notion of reversal also expresses the act of turning to the other, of fostering a bond with them. Therefore, one may wonder whether beyond the sense of chaos that prevails, Moore’s novels actually contribute to finding a (new) meaning to life again, and along with it, a new direction. The present study, which relies on the Pine Cove series (1992-2004), a trilogy that includes Moore’s first novel Practical Demonkeeping, followed by The Lust Lizard of Melancholy Cove and The Stupidest Angel, will strive to show that a strategy of reversal is the hallmark of Moore’s writing and greatly transcends the idea of an eccentric fictional world created merely for the sake of entertainment. Rather, the multiple lines of reversal aim to help the readers reappraise their codes, from literary traditions to more intricate social issues, thus paradoxically giving them, through the pleasure of escaping into the world of fantasy, a firmer grasp on the real world.

Keywords : Reversal ; Reverse ; Turnaround ; Topsy-turvy ; Chaos ; Disorder ; Fantasy ; The imaginary ; The supernatural ; Comic fantasy ; Humor ; Satire ; Christopher Moore ; United States ; American ; Contemporary ; Novel ; Pine Cove trilogy


Direction de thèse : GAY Marie-Agnès

Membres du jury :
- Mme Marie-Agnès GAY, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, Directrice de thèse
- M. Michel FEITH, Professeur des universités, Nantes Université, Rapporteur
- Mme Anne-Laure TISSUT, Professeure des universités, Université de Rouen Normandie, Rapporteure
- M. Samuel LUDWIG, Professeur des universités, Université de Haute-Alsace, Mulhouse, Examinateur
- Mme Anne BESSON, Professeure des universités, Université d'Artois, Arras, Examinatrice

Présidence du jury : TISSUT Anne-Laure