• Recherche,

EBERHARDT Sophie

Entre France et Allemagne, de la ville ancienne à la Neustadt de Strasbourg : la construction du regard patrimonial

Publié le 19 janvier 2015 Mis à jour le 20 décembre 2018

Thèse en Géographie-Aménagement soutenue le 16 janvier 2015.

L’héritage de Strasbourg s’est construit dans le contexte particulier d’une ville frontalière, dans laquelle différentes influences, principalement française et germanique, ont contribué à forger un caractère singulier. Pourtant, les valeurs conférées à cet ensemble ne sont pas déterminées uniquement par le champ restrictif des considérations nationales. Depuis le Second Empire jusqu’à aujourd’hui, elles ont sans cesse évolué, en particulier depuis les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale.

Notre étude vise à faire état de la construction et de l’évolution des valeurs de l’héritage et du patrimoine de Strasbourg, et en particulier du quartier de la Neustadt, conçu et mis en œuvre pendant la période de l’annexion allemande (1871-1918) lorsque la ville devient la capitale du Reichsland d’Alsace-Lorraine. La période de l’étude s’ouvre à partir des années 1840, au moment du premier inventaire des monuments historiques et d’un grand effort de modernisation et d’embellissement par la Municipalité, et va jusqu’à aujourd’hui, à l’heure où la Neustadt suscite un intérêt croissant tant de la part des institutions locales et régionales, du milieu scientifique, que de la population.

Dans ce but, ont été mobilisées les sources permettant d’éclairer ces phénomènes : procès-verbaux du conseil municipal, archives de la commission municipale des Beaux-arts, archives du service régional des Monuments historiques, manuels et revues spécialisés en urbanisme et architecture, les histoires de Strasbourg, les guides et récits de voyage ainsi que la presse quotidienne.

Dans cette thèse, l’héritage est considéré comme « l’ensemble des aménagements anthropiques légués, subsistant en tout ou partie », et le patrimoine correspond à « la partie qu’on considère digne de conservation, de restauration et de mise en valeur » (Gauthiez, 2006, p. 126).

Les recherches mettent en évidence que les valeurs de l’héritage et du patrimoine bâtis de Strasbourg se fondent pour une part sur les discours portés sur ces objets, mais aussi sur des silences. Ces discours et silences sont nourris de fortes considérations idéologiques liées aux doctrines et pratiques du patrimoine en France et en Allemagne, et d’ordre nationaliste. D’abord héritage méconnu, « étranger », puis patrimoine « hyper-valorisé » illustrant des influences croisées entre France et Allemagne, le patrimoine de la Neustadt se fonde également sur des conflits et le dépassement d’idéologies tout au long du XXe siècle, jusqu’à conduire à une candidature à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Une autre part des valeurs de l’héritage et du patrimoine s’inscrit dans un substrat régional et local fort et la continuité des acteurs. Un décalage apparaît nettement dans certains cas entre les pratiques patrimoniales et les discours liés à ces pratiques. Les projets peuvent ainsi se poursuivre au-delà des changements d’appartenance nationale sans nécessairement que la continuité soit revendiquée. Le fort substrat régional et local a également participé de la construction d’une dimension mythologique de l’héritage et du patrimoine qui a favorisé cette cohérence (Barthes, 1957).

Force est de constater également que les valeurs de l’héritage et du patrimoine dépendent en grande partie de leur état de connaissance dans les sphères institutionnelle et administrative, scientifique et de la population. Le fait que l’héritage des trois premiers quarts du XIXe siècle de Strasbourg fasse aujourd’hui l’objet d’une sous-valorisation est le résultat du manque d’intérêt porté également au sein de la sphère scientifique.

L’approche choisie permet de dépasser les pratiques actuelles dans l’étude de l’architecture et de l’urbanisme en prenant mieux en compte les discours sur l’héritage bâti et en incluant des aspects anthropologiques, symboliques, politiques, sociologiques et culturels, pour exposer la construction du regard patrimonial.

The heritage of Strasbourg was built within the context of a boundary city, in which different influences, mainly French and German, have contributed to forge a singular character. Nonetheless, the values attributed to the site are not only determined by the restrictive field of national considerations. From the Second Empire to nowadays, they have continually evolved, and especially since the decades following the Second World War.

Our study aims at explaining the construction and evolution of heritage values of Strasbourg, mainly those of the Neustadt, conceived and built during the German annexation (1871-1918), when Strasbourg became the capital of the Reichsland Elsass-Lothringen. The period of study opens during the 1840s, when the first inventory of historical monuments was created and a program of modernisation and embellissement was carried out by the City authorities. It stretches until nowadays, when the Neustadt is arousing increasing interest from the local and regional institutions, in the scientific field and among the population.

Diverse sources have been exploited during researches: Municipal Council’s minutes, archives of the Municipal Council of Fine-Arts, archives of the Regional Office for Historical Monuments, handbooks and periodicals in architecture and urban planning, histories of Strasbourg, guides and trips narrations, and the press.

In the thesis, « Héritage » is conceived as the « ensemble of anthropic construction inherited, partly or completely subsisting », and « Patrimoine » as « the part of heritage identified worthy of conservation, restoration, and valorisation ». (Gauthiez, 2006, p. 126).

Firstly, the researches have revealed that the values of heritage of Strasbourg are founded, for one part, on the discourses hold on these objects, as well as on the silences. These discourses and silences are nourished by strong ideological considerations linked to doctrines and practices in the heritage field in France and in Germany. Originally unknown, then considered as « foreign » and finally as heritage « hyper-valorised » illustrating the crossed-influences between France and Germany, the heritage of the Neustadt is founded on conflicts and ideological overtaking all along the XXth century. Nowadays, Unesco World Heritage inscription is envisaged for the Neustadt.

Secondly, it appeared that another part of the values of heritage is inscribed within the strong regional substrate and the continuity of actors. A discrepancy appeared when comparing the discourses and practices. Projects are in some case continued beyond the national changes. The important regional substrate has also allowed the construction of a mythological dimension to heritage (Barthes, 1957), and has strengthened the coherence in the urban landscape.

Thirdly, the values of heritage rely for a large part on the knowledge within the institutional and administrative spheres, the scientific field, and among the population. The fact that the heritage of the first quarters of the XIXth century of Strasbourg is today under-valorised is the result of a lack of interest within the academic field.

The approach selected allows overtaking the current practices in the study of architecture and urban planning by better taking into account the discourses on heritage and by including anthropological, symbolical, political, sociological and cultural aspects, so as to expose the construction of heritage gaze (regard patrimonial).

Mots-Clés : Patrimoine culturel ; patrimoine mondial de l’Unesco ; architecture ; urbanisme ; réception de l’architecture ; histoire culturelle ; histoire croisée ; transferts culturels ; regard patrimonial.

Keywords : Cultural heritage; Unesco World Heritage; architecture; urban planning; reception of architecture; cultural history; histoire croisée; cultural transfers; heritage gaze.

Directeurs de thèse : Bernard GAUTHIEZ et Alexandre KOSTKA
                                 

Membres du jury :
- Guy DI MEO, Professeur émérite, Université Michel de Montaigne Bordeaux III
- Wolgang VOIGT HDR, directeur adjoint du Deutsches Architekturmuseum, Francfort-sur-le-Main
- Christian MONTES, Professeur des universités, Université Lumière Lyon II
- Dominique CASSAZ, Responsable de la mission Patrimoine, direction de la Culture, Ville et Communauté urbaine de Strasbourg
- Alexandre KOSTKA, Professeur des universités, Université de Strasbourg
- Bernard GAUTHIEZ, Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3

Président du jury
: Christian MONTÈS

Mention : Très honorable

Equipe d'accueil : UMR 5600 - EVS