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BERNARDI Clovis

La police des cultes dans les établissements français de l'Inde sous l'Ancien Régime : 1664-1790

Publié le 12 juin 2025 Mis à jour le 12 juin 2025

Thèse en Droit, soutenue le 08/11/2024.

Cette thèse porte sur la formation et l'évolution du droit public des religions dans les établissements français de l'Inde sous l'Ancien régime. A partir des catégories du droit des religions propres à l'Ancien Régime (police religieuse, police ecclésiastique), nous avons cherché à montrer comment l'ancien droit avait appréhendé la diversité religieuse dans les comptoirs commerciaux de l'Inde, alors que la législation du royaume de France avait érigé l'intolérance en principe. La police des cultes qui se forme dans les établissements de l'Inde entre le XVIIe et le XVIIIe siècle s'explique par la singularité de l'institution chargée d'administrer ces territoires : la Compagnie des Indes orientales. La primauté des impératifs économiques sur l'évangélisation, et la fragilité de l'implantation territoriale de la Compagnie en Inde ont abouti à une forme de tolérance spécifique. Au moyen d'une réglementation propre, la Compagnie des Indes a d'abord eu la tâche de légitimer la présence, en son sein, d'agents protestants étrangers, prisés pour leur expérience des marchés asiatiques. La question du protestantisme et les conflits entre employés européens constituent alors le principal objet de la police religieuse de la Compagnie des Indes durant ses premières années d'activité. L'absence de souveraineté de la Compagnie sur ses comptoirs explique également que celle-ci n'ait pu former de réglementation répressive en matière religieuse à l'égard des sujets indiens dans les villes commerciales de Surate ou de Pondichéry au XVIIe siècle. C'est dans cet environnement que la tolérance est érigée en principe de politique religieuse : elle est la condition du peuplement des comptoirs et de la survie du commerce. Au XVIIIe siècle, cette doctrine se traduit juridiquement dans la jurisprudence du Conseil supérieur de Pondichéry. En adoptant la forme d'un conseil d'administration du commerce, la juridiction a été capable de défendre un modèle singulier de police des cultes conforme aux intérêts économiques de la Compagnie. Ces principes seront maintenus lors du passage des comptoirs sous l'administration royale, à partir de 1770. La tolérance apparaît comme un objet de négociation entre les administrateurs français et la société indienne. Elle s'impose progressivement comme un outil au service de l'autorité coloniale, capable de dispenser des privilèges ou de punir les innovations. Pour cerner la dynamique de la police des cultes des comptoirs de l'Inde, il faut également considérer la dépendance entre la police ecclésiastique, régissant les missionnaires catholiques, et la police religieuse, régissant les manifestations publiques de chaque culte. L'histoire de la norme religieuse des comptoirs de l'Inde doit alors être inscrite dans celle des institutions de l'Église catholique en Asie. Les revendications de l'Estado portugais ou de la Congrégation de la Propagation de la Foi privent les marchands français d'un véritable contrôle sur les missionnaires. Les ecclésiastiques ont ainsi pu chercher à dicter les principes d'une réglementation religieuse favorisant les conversions, et mettant en péril le commerce. Ces rivalités ont d'abord imposé aux autorités françaises de penser la transposition des techniques du gallicanisme dans des territoires ultramarins relevant de la juridiction d'un évêque portugais. En raison des enjeux propres au clergé indien, l'introduction d’un tel contrôle revenait toutefois à favoriser le pouvoir des missionnaires. Au cours du XVIIIe siècle, un modèle proprement colonial de police ecclésiastique s'impose en Inde. Les droits de patronage laïc ou de fondation permettent une déjuridictionnalisation de la police ecclésiastique, qui se concentre dans l'autorité hiérarchique des autorités coloniales et ministérielles sur les religieux. Les établissements de l’Inde sont donc le théâtre d’une construction spécifique des relations entre Églises et État, qui vise la protection des intérêts impériaux et commerciaux.

Mots-clés : Histoire du droit colonial ; Compagnie des Indes orientales ; Inde ; Religion ; Commerce ; Police ; Police religieuse ; Police ecclésiastique ; Droit canonique missionnaire ; Pondichéry ; Tolérance ; Intolérance ; Caste ; Protestantisme

This thesis focuses on the formation and evolution of public religious law in French settlements in India under the Ancien Régime. Using the categories of religious law specific to the Ancien Régime (religious police, ecclesiastical police), we sought to show how the ancient law had apprehended religious diversity in the trading posts of India, while the legislation of the Kingdom of France had established intolerance as a principle. The religious police that formed in the settlements of India between the 17th and 18th centuries can be explained by the singularity of the institution responsible for administering these territories: the French East India Company. The primacy of economic imperatives over evangelization, and the fragility of the Company's territorial establishment in India led to a specific form of tolerance. By means of its own regulations, the East India Company first had the task of legitimizing the presence within it of foreign Protestant agents, valued for their experience of Asian markets. The question of Protestantism and conflicts between European employees then constituted the main object of the religious police of the East India Company during its first years of activity. The absence of sovereignty of the Company over its trading posts also explains why it was unable to form repressive regulations in religious matters with regard to Indian subjects in the commercial cities of Surat or Pondicherry in the 17th century. It was in this environment that tolerance was established as a principle of religious policy: it was the condition for the settlement of the trading posts and the survival of trade. In the 18th century, this doctrine was legally translated into the jurisprudence of the Conseil supérieur of Pondicherry. By adopting the form of a board of directors of trade, the jurisdiction was able to defend a singular model of religious policing in accordance with the economic interests of the Company. These principles were maintained when the trading posts came under royal administration, from 1770. Tolerance appeared as an object of negotiation between French administrators and Indian society. It gradually became a tool in the service of the colonial authority, capable of dispensing privileges or punishing innovations. To understand the dynamics of the policing of religions in the trading posts of India, we must also consider the dependence between the ecclesiastical police, governing Catholic missionaries, and the religious police, governing the public manifestations of each religion. The history of the religious norm of the trading posts of India must then be included in that of the institutions of the Catholic Church in Asia. The demands of the Portuguese Estado or the Congregation for the Propagation of the Faith deprived French merchants of real control over the missionaries. The ecclesiastics were thus able to seek to dictate the principles of religious regulation that encouraged conversions and jeopardized trade. These rivalries first forced the French authorities to consider the transposition of Gallican techniques into overseas territories under the jurisdiction of a Portuguese bishop. However, given the issues specific to the Indian clergy, the introduction of such control amounted to favouring the power of the missionaries. During the 18th century, a specifically colonial model of ecclesiastical policing was imposed in India. The rights of lay patronage or foundation allowed a dejurisdictionalisation of the ecclesiastical policing, which was concentrated in the hierarchical authority of the colonial and ministerial authorities over the religious. The establishments of India were therefore the scene of a specific construction of relations between Churches and State, which aimed to protect imperial and commercial interests.

Keywords: History of colonial law ; French East India Company ; India ; Religion ; Trade ; Policy ; Religious policy ; Church policy ; Missionary law ; Pondicherry ; Tolerance ; Intolerance ; Caste ; Protestantism


Directeur de thèse : Louis-Augustin BARRIERE

Membres du jury :

- M. BARRIERE Louis-Augustin , Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur de thèse
- Mme RENUCCI Florence , Directrice de recherche, C.N.R.S, Aix- Marseille université, Rapporteure
- Mme GUERLAIN Laetitia, Professeure des universités, Université de Bordeaux, Rapporteure
- Mme JALLAMION Carine, Professeure des universités, Université de Montpellier, Examinatrice
- M. DESCAMPS Olivier , Professeur des universités, Université Paris 2 Panthéon-Assas, Examinateur


Présidence du jury : Olivier DESCAMPS