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La trahison au Moyen-Âge

Publié le 26 juin 2008 Mis à jour le 16 juillet 2008

Le colloque "La trahison au Moyen-Âge" s'est déroulé les 11, 12 et 13 juin 2008.

Ce colloque organisé par le C.H.M. (Centre d'Histoire Médiévale), sous la coordination de Maïté Billoré, visait l'étude du concept de trahison au Moyen Age et ses implications tant sociales que politiques, familiales ou morales. Il réunissait spécialistes d'histoire médiévale, historiens du droit, et littéraires, professeurs, maîtres de conférences, docteurs et doctorants. De nombreux étudiants lyonnais et poitevins, quelques juristes et chercheurs d'autres universités ont suivi et animé les débats et ont largement contribué au succès de la manifestation, qui malgré les grèves des transports s'est déroulée sans bouleversements majeurs du programme initial.

Les communications ordonnées dans un cadre précis par demi-journées sont venues s'articuler avec une grande cohérence et se sont clairement complétées les unes, les autres, pour traiter un thème abordé jusque là dans de nombreux ouvrages, mais qui n'avait encore fait l'objet d'aucune synthèse. La période longue envisagée (VIe-XVe siècles) a permis de dégager des évolutions, des nuances dans « la pratique » de la trahison, mais surtout dans son traitement et sa perception.

Mercredi 11 juin, le colloque s'est ouvert par un mot de bienvenue de madame le doyen Nicole Gonthier, spécialiste du crime et de la répression au Bas-Moyen Age. Maïté Billoré a ensuite posé la problématique par un vaste panorama des thèmes envisagés par le programme. Les premières interventions, ont placé le sujet dans la sphère où elle se rencontre le plus fréquemment : la sphère politique. Tandis qu'Hélène Debax, maître de conférences à l'université de Toulouse, mettait en évidence une typologie des trahisons dans la documentation féodale, par un examen minutieux du vocabulaire employé dans les chartes, la question du lien trahison-rébellion était soulevée par Bruno Lemesle, professeur à l'université de Dijon et par Daniel Power, professeur à l'université de Swansea au Pays de Galles. Ils ont tout deux souligné le caractère particulier de la prise d'armes contre le roi et ses implications juridiques. Un questionnement qui ouvrait naturellement sur le problème de la Lèse-majesté, maintes fois abordée, notamment par Marie-Céline Isaïa, maître de conférences à l'université Lyon III, dans sa contribution sur le discours de Grégoire de Tours au sujet d'Egidius, évêque de Reims.

Avec la communication de Gilles Lecuppre, maître de conférences à l'université de Nanterre, la complexité de la trahison était posée : qui le « traître » trahit-il vraiment ? Les accusations à son encontre sont-elles toujours fondées ? N'est-ce pas, parfois, un simple discours motivé par les objectifs des divers détracteurs ? C'est aussi sur le plan de la subjectivité de la perception des traîtres que se positionnaient les contributions d'Egbert Türk, à propos d'Etienne du Perche, chancelier du royaume de Sicile, et de Jean Christophe Saladin, à propos de Bessarion. Caroline Fargeix, de son côté, insistait sur le poids de la conjoncture dans l'accusation de trahison, notamment à propos des consuls de Lyon au XVe siècle et Xavier Hérary, maître de Conférence à l'université de Paris IV, montrait que le concept pouvait être utilisé comme une justification honorable - une opportunité - en cas de défaite militaire.

Le professeur Nicole Gonthier et Nicole Brocard, maître de conférences à l'université de Besançon, ont toutes deux insisté sur les sentiments suscités par les traîtres, fauteurs de troubles réels ou de complots ou d'attaques supposées. La traîtrise n'a pas été envisagée par elles comme une action individuelle, mais en tant que trait de caractère d'un groupe volontairement destructeur de paix et menaçant les valeurs de la société. Un groupe que les contemporains cherchent à circonscrire, à désigner, à stigmatiser...

Quand ils sont identifiés, les traîtres apparaissent toujours comme portant sur leur visage la marque de l'infamie. Plusieurs communications ont montré que les portraits les déshumanisent volontiers : ils sont assimilés à des animaux enragés, des personnages diaboliques. Dans la littérature Mordred en est l'archétype. Le professeur Martin Aurell et Catalina Girbea, maître de conférences à l'université de Bucarest, nous ont montré la construction de la figure de ce « traître scélératissime » aux multiples facettes, qui trahit plusieurs fois, dans plusieurs sphères et notamment dans le domaine privé où il apparaît que la trahison est un fléau très dangereux. Emmanuelle Santinelli, maître de conférences à l'université de Valenciennes, et Sylvie Joye, maître de conférences à l'université de Reims, ont insisté sur ce point. Leurs communications portant sur la trahison des femmes adultères, empoisonneuses, des fils ingrats et indignes, soulignent le caractère sacré des liens familiaux, plus forts que les serments de fidélité, et l'horreur que représente la trahison familiale.

Crime terrible quelque soit le domaine où il s'applique, la trahison doit être punie sévèrement. Le châtiment de ce crime a été évoqué par de nombreux intervenants : Laurent Hablot, maître de conférences à l'université de Poitiers, spécialiste d'héraldique, s'est penché sur l'utilisation de la subsversio armorum - l'exposition publique des armoiries « sens dessous dessus » du traître- ; Esther Dehoux, doctorante, et Karin Ueltschi, docteur et philologue ont pour leur part présenté une réflexion sur la main du parjure, en mariant l'apport historique et l'investigation linguistique et littéraire. Pierre Ganivet, maître de conférences à l'université de Clermont-Ferrand, s'est penché sur les autres mutilations fréquentes pour punir le crime de trahison au Haut Moyen Age et le professeur Alain Dubreucq a insisté sur la notion de pénitence publique à l'époque carolingienne, au sujet des procès de Louis le Pieux et de l'archevêque Ebbon de Reims. Ils ont tous envisagé la portée symbolique de ces sanctions et leurs implications juridiques.

En contrepoint de la punition, la question du pardon a été abordée par plusieurs communicants notamment par Laurent Macé, maître de Conférences à l'université de Toulouse, qui a insisté sur son rôle social, afin d'assurer le rétablissement de la paix et de l'honneur et par Thomas Deswarte, maître de conférences à l'université de Poitiers, dans une présentation des troubles ayant affecté la monarchie wisigothique aux VIIe-VIIIe siècles. Il a montré le rôle joué par les évêques et constaté le développement d'une politique de la miséricorde liée aux efforts de christianisation de la monarchie, qui s'avère dangereuse pour le pouvoir.

Quelques idées majeures se sont donc clairement dégagées des interventions et des débats de ces trois journées de réflexion. Corinne Leveleux, professeur à l'université d'Orléans, les a présentées dans ses conclusions. Il convient tout d'abord d'insister sur la polysémie du crime de trahison et sur la variété du vocabulaire le concernant. La trahison est un forfait grave, aux dimensions morales autant que politique ou affectives. Il nous est clairement apparu comme une pratique d'inversion, de brouillage des repères, de non respect des normes établies et, en ce sens, il est un réel danger pour la société : il touche sa stabilité dans différents domaines (politique, familial, féodal...), il pervertit l'ordre du monde, ce qui implique le salut de l'humanité.

Le discours sur la trahison a aussi nettement retenu l'attention car il démasque le traître, rend visible son action nuisante et rétablit, par la dénonciation, le signe originel. Le discours sur la trahison est souvent inverse, puisqu'il exalte la mémoire de la victime, non celle du traître, comme l'a montré Vincent Debiais, ingénieur de recherche au CNRS, à travers les sources épigraphiques. C'est en tout cas un discours très construit, porteur de sens, voire de « propagande ». La prestation de Myriam Soria, maître de conférences à l'université de Poitiers, sur les schismes de 1130 et 1159 s'est entièrement orientée vers ce point, ainsi que celle du professeur émérite Pierre Riché à propos d'Adalbéron de Laon.  Décrire ou taire la trahison est un choix conscient, la question de sa publicité est une question centrale. La stigmatisation du traître est une constante de nos documents, mais il y a toujours plusieurs niveaux d'analyse : une lecture morale et une lecture juridique du concept. L'approche juridique de la trahison laisse entrevoir une évolution : une période franque et carolingienne où les trahisons sont très diverses et où la mention est fréquente dans les sources, un Moyen Age central qui opère un recentrage sur les actes de parjure liés au non respect des obligations vassaliques et les actes de rébellion. A partir de la fin du XIIe siècle, avec l'influence du droit savant, une clarification plus nette entre petite et grande « trahison », avec le retour en force d'un concept sans doute pas oublié depuis l'époque carolingienne, mais devenu plus flou : celui de la lèse-majesté.

Enfin, le lien étroit entre trahison et rumeur a été mis en évidence par plusieurs communicants, notamment les professeurs Nicole Gonthier et Pierre Riché : ils ont fait émergé la nécessité, déjà entrevue par Maïté Billoré et Myriam Soria de proposer une étude conjointe des deux concepts. Un second colloque, complémentaire à celui-ci, se tiendra donc en juin prochain, à l'université de Poitiers cette fois, sur le thème de « La rumeur au Moyen Age ».

                                               Rapport établi par Maïté Billoré