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Transtext(e)s Transcultures - Journal of Global Cultural Studies

Poésie et insularité - Poetry and insularity - Stephanos Stephanides and Susan Bassnett - Antonis Balasopoulos - May Chehab - Vassiliki Coavoux - Yiannis E. Ioannou - Lito Ioakimidou - Apostolos Lampropoulos - Lisa Mamakouka - Giuseppina Semola - Lionel Verdier - Jérôme Thelot

Publié le 21 novembre 2008 Mis à jour le 3 juin 2020
Les îles enferment, les îles emprisonnent et elles protègent, mais elles rendent l'évasion difficile. Les îles des Antilles ne font pas exception à cette expérience humaine. De nos jours encore plusieurs d'entre elles sont sous domination européenne. Et la prison la plus hautement surveillée que le monde n'ait jamais connue, Guantanamo Bay, est située à l'extrême sud de l'île de Cuba. D'abord il y eut l'extermination de la population d'origine des îles antillaises. Puis les navires d'esclaves arrivèrent d'Afrique. Après l'abolition de l'esclavage, on recruta en Afrique, en Inde et en Chine une nouvelle main d'œuvre bon marché. Le nouveau roman de Raphaël Confiant, Case à Chine, raconte l'histoire de travailleurs chinois sous contrat qui avaient franchi les "Trois Océans" avec la promesse d'un passage pour l'Amérique. Mais les portes de l'Amérique s'étaient refermées au nez des immigrants avec l'Acte d'Exclusion des Chinois de 1882, anéantissant leurs espoirs et ceux des employeurs à la recherche de main d'œuvre bon marché. Ceux qui, par la suite, tentèrent d'atteindre les Etats-Unis se retrouvèrent internés sur Angel Island où ils gravèrent sur les cloisons de bois du centre de détention des milliers de poèmes criant leur désespoir. Dans le livre de Confiant, l'immigrant Chen-Sang tente de fuir la plantation de cane à sucre et se met en marche dans toutes les directions possibles pour essayer d'atteindre l'Amérique. Mais il doit se résigner au fait que l'Amérique se trouve de l'autre côté de la mer infinie. La mer, pour les Chinois qui n'avaient pas historiquement le pied marin (en dehors de quelques exceptions), était inconnue de la grande majorité d'entre eux, et ce n'est qu'avec les Guerres de l'Opium de la fin du 19ème siècle, la présence coloniale maritime occidentale et les conséquences économiques désastreuses pour la Chine qui s'ensuivirent, qu'ils furent contraints à la navigation professionnelle. Face à la misère et parfois même à la famine, nombreux sont ceux qui durent s'embarquer à la recherche d'une nouvelle vie, tout comme Chen-Sang, ou qui furent employés comme main d'œuvre bon marché par les compagnies de transport maritime occidentales, telle Blue Funnel. Confiant parle de l'adaptation à un climat hostile, de la recherche d'intégration au sein du tissu social et "racial" si complexe de la colonie française de Martinique, connue du lecteur postcolonial de par les écrits de Frantz Fanon et Aimé Césaire.
Mais où, dans une histoire aussi tragique, se trouve la poésie ? Dans la poiësis, la création et la créativité de la langue créole que Confiant maîtrise parfaitement depuis longtemps, qu'il a enrichie et dont il parsème les dialogues de ses romans.
Les esclaves étaient délibérément sélectionnés à partir de groupes linguistiques mutuellement inintelligibles en Afrique afin d'éviter toute connivence et rébellion, et ils n'eurent d'autre alternative que d'adapter et d'inventer un nouveau langage organique. A leur tour, les Chinois durent faire l'apprentissage de cette langue créole locale. Ainsi de la privation et de la nécessité naquit une nouvelle poésie du discours quotidien qui soulageait à la fois l'ennui et la frustration de l'existence coloniale. Il existe une autre île et une autre plage où s'est retrouvé un jour un Chinois solitaire : Isla Negra, chez le poète chilien lauréat du Prix Nobel, Pablo Neruda. La maison de Neruda, en elle-même tout un poème, construite d'objets de rêverie, coquillages, figures de proue, ancres, ne se trouvait pas à l'origine sur une île mais sur un promontoire du sud du Chili. La maison de ce poète si sociable était souvent emplie de poètes des quatre coins du monde. C'est lors d'une de ces occasions que l'auteur chinois Ai Qing rédigea un poème en hommage à la maison et à son maître. La mer ici n'était pas un obstacle comme pour les Chinois désespérés de Confiant, mais plutôt une promesse, une source d'objets magiques renfermant chacun leur propre poème.

Parution Janvier 2008 - Hors Série
ISSN 1771-2084
Prix 15€

Renseignements : http://www.transtexts.net/