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GRESIN JULIEN Valérie

Le sujet à l'épreuve de la guérison - Une intégrité affective au fondement de notre consistance

Publié le 31 mars 2016 Mis à jour le 23 septembre 2016

Thèse en Philosophie soutenue le 22 janvier 2016.

La maladie soit un mal dont il faille guérir, c’est ce que déjà l’instinct nous dicte, mais il s’agit de savoir si l’instinct suffit à rendre raison de l’évidence, autrement dit si la raison peut même rendre raison de ce qui résiste à son emprise de rationalité. En bref s’il est possible de tenir un discours “raisonnable” sur une question qui d’emblée met en jeu le sujet.
Ce travail s’inscrit dans une perspective de phénoménologie herméneutique. Il questionne cette occurrence critique du vivre qui est la confrontation à la “grande maladie”, c’est-à-dire celle que la “nature” ne suffit pas à guérir, et recherche ce que l’effort fait pour entreprendre de guérir nous apprend sur notre humanité.
A distance d’une perspective qui voudrait saisir “l’essence de la guérison,” mon propos est d’interpréter ce qui se joue dans la dynamique du sujet qui entreprend de guérir autrement dit de garder le sens de l’engagement, indépendamment des conditions objectives de sa guérison.
Car la prise en compte de l’exigence individuelle et collective de santé pourrait occulter la part subjective du rapport à la santé dans la part croissante accordée à la conception du soin et du bon soin. Avec les meilleures intentions du monde la recherche de la santé pourrait faire l’économie de la question de la participation du sujet au projet de bien vivre et se traduire par une nouvelle entreprise de normalisation de l’humanité.
Il se peut qu’à mesure que progresse la science, doive aussi se développer notre attention à ce que vivre humainement veut dire. Il se peut que les possibilités des biotechnologies nous confrontent à l’ultime choix de garder ou non notre humanité et que cela relève de notre seule responsabilité, que la valeur de notre liberté soit convoquée à ce courage.
Je choisis d’examiner les conditions de possibilité et de maintien de notre résistance en tant que sujet car la confrontation à la maladie nous dessaisit de notre pouvoir et nous assigne à prendre position pour la vie, pour un sens de la vie, malgré l’exposition à la mort. Moment de 2 vérité – et en ce sens événement - où l’être du sujet, est mis en jeu. Face à la maladie, le sujet traverse une épreuve dans laquelle se noue, au plus intime, notre rapport à la vie, dont l’évidence vient à manquer.
Ainsi, à contre-courant de l’évidence qui est que la maladie est l’épreuve, nous explorerons l’hypothèse d’une épreuve de la guérison même. Je prendrai là aussi le contrepied de la pensée dominante qui à mon sens a davantage entrepris d’expliquer le mal que de comprendre ce qui lui résiste.
Je tente alors d’éclairer de biais à quel sujet s’adresse la pratique médicale pour susciter un questionnement et si possible ouvrir un champ de ressources pour les personnes en charge de guérison. Un champ de ressources qui invite à réinvestir autrement notre rapport au sensible et à l’illusion de sa maîtrise compassionnelle. Un champ de ressources qui repense le sujet dans sa capacité de résistance à l’ordre des choses. Un champ de ressources qui tisse et retisse le lien à la vie, dont la première épreuve pour nous est toujours “affective,” convaincue que si seul le sujet décide de sa guérison, nul ne peut guérir seul.
Ainsi je ne parlerai pas ou très peu du soin dans le cadre de ce travail mais plutôt de ce qui peut le soutenir, ce qui peut l’accueillir. A partir de l’examen attentif de l’épreuve que constitue la confrontation du sujet à la maladie je propose d’identifier la nature - l’ordre - des ressources dont il dispose pour résister, indépendamment des ressources biologiques, domaine dans lequel je n’ai pas compétence.
Il se pourrait que la patience forge en nous une endurance propice au développement de la force de tenir dans la vie, que la patience soit force régénératrice de vie, son énergie. Pour autant que nous puissions rendre compte d’une patience qui ne soit pas entendue comme soumission mais comme une douce obstination qui fixe une limite infranchissable à la progression du mal. Il se pourrait que cette douce obstination puisse être pensée dans la catégorie du don comme une grâce qui échappe-et par là même résiste- à l’ordre des choses.
La force de ce ‘’don’’ c’est ce que j’ai entrepris de penser avec ce travail de thèse, cherchant sur les pas de Canguilhem la part “subjective” de la guérison tout comme il a pu penser la part subjective de la santé.
Le déploiement de mon argumentation explorera l’enracinement ou non du sujet dans
l’affectivité du vivre, réinterrogera le lien contingent ou nécessaire de l’affectivité et de la liberté ainsi que le rapport du même et de l’autre dans la responsabilité.
Cela nous conduira à questionner le paradigme de résilience pour penser la capacité
d’intégration du sujet, à questionner la culpabilité comme norme régulatrice de la conscience morale, et la désaffection de l’amour pour rester maître chez soi. 3
Je voudrais montrer que le phénomène de la résilience ne permet pas de fonder l’hypothèse
d’une possibilité d’intégrité du sujet; la résilience pouvant être aussi pensée comme l’artefact
d’un personnage qui construit une contenance au désastre qui l’habite et le néantise à petit feu.
J’émets l’hypothèse sans doute épineuse que la culpabilité chemine en complice du mal
physique et moral et altère ainsi la possibilité d’engagement d’un sujet résistant. Qu’une intégrité affective, “au coeur du sujet” a toujours précédé le mal et affirme avant toute destructivité et tout négativité une “générosité de soi.”
Je m’engage enfin à explorer la faculté d’aimer comme une réalité de premier ordre pour penser l’intégrité d’un sujet, animé de joie de vivre qui entreprend de porter le bien. A quelles conditions la vie vaut d’être vécue pour un vivant humain et est-il possible de persévérer dans le développement de ces conditions alors que la ‘’fin de l’homme’’ nous est annoncée de toutes parts? Telle est la question centrale posée dans le cadre de cette recherche qui vise d’emblée une portée pratique.
Face à la déréliction annoncée du monde qui n’a plus la force de nous porter sans notre
concours, le temps est peut-être venu d’apprendre à devenir des bien portants, en capacité de soutenir notre communauté humaine.
Etre là, réellement présents les uns auprès les autres. De ce dont procède cette générosité, c’est ce que nous appelons dans le cadre de notre recherche “guérison.”
Instinct tells us that sickness is an ill from which we must recover, but we must know if
instinct is enough to explain what is evident, in other words, if reason can even account for what resists its hold on rationality. In short, if it's possible to argue "with reason" on a question which, from the outset, involves the subject.
This work falls within the scope of hermeneutic phenomenology. It questions the critical life experience of confronting "serious illness", meaning an illness that "nature" cannot cure, and looks at what the effort required to recover teaches us about our humanity.
Separate from the perspective which seeks to identify “the essence of the cure,” my aim is to interpret what is at play in the subject's personality, who undertakes to recover, in other words maintains their commitment, independently of the objective conditions for recovery.
As taking into consideration both individual and collective health requirements could mask the subjective element of the relationship to health in the growing importance accorded to the concept of care and ‘’good’’ care. With the best intentions in the world health research could avoid the question of the subject's participation in defining "living well" and transform itself into a new attempt to normalize humanity.
It is possible that as science progresses, we should also pay attention to what we mean by "living humanely". It is possible that the future capabilities of biotechnology will force us into making the ultimate choice of keeping, or not, our humanity and that we alone will be responsible for the choice, that the value of our liberty will be measured by this courage.
I have chosen to examine the conditions for the possibility of and upholding of our resistance as a subject for the confrontation with illness strips us of our power and obliges us to make a stand for life, for a meaning to life, despite being exposed to death. The moment of truth – and in this sense an event – where the self of the subject, is at stake. Faced with illness, the 2 subject experiences an ordeal which is intimately bound to their attitude to life, which itself is no longer evident.
Counter to the self-evident idea that it is the illness which is the ordeal, we will explore the hypothesis of the ordeal of healing itself. Here also, I will go against the majority of current thinking, which in my opinion has given greater stress to explaining the ill than to understanding what resists it.
I try to throw some light on which subject medical practice addresses to elicit interrogation and if possible to open a new area of resources for people responsible for healing. Resources which lead to a rethinking of our relationship to sensitive subjects and the illusion of one’s compassionate control. Resources which reconsider the subject’s capacity to resist “the way things are”. Resources which make and remake the vital link to life, of which the primary test for us is always “emotional,” convinced that if the subject alone decides their recovery, none can heal alone.
Thus, I will not speak of ‘’care’’, or only in a very limited way, in the context of my
framework; but of that which can provide support for it, accommodate it. Based on careful examination of the ordeal which is the confrontation between the subject and the illness, I intend to identify the nature – the kind – of resources which the subject has available in order to resist, independent of biological resources, field I am unqualified to comment on.
It is possible that patience forges in us a form of endurance favorable to the strength to hold on to life, that patience is the regenerative force of life, its energy. As far as we can summarize, a patience which is not a form of submission but a sort of gentle obstinacy which sets an impassable barrier to the development of the ill. This gentle obstinacy could possibly be thought of as a sort of gift, as a favor which is not part of –and therefore resists- the natural order of things.
The strength of this "gift" is what I have attempted to think about through this thesis,
searching in Canguilhem's footsteps the “subjective” component of healing in the same way he could consider the subjective component of health.
My reasoning will explore the entrenchment, or not, of the subject in the affectivity of life, look again at the potential or necessary link between affectivity and liberty as well as the connection between the one and the other to responsibility.
This will lead us to question the paradigm of resilience to consider the subject's capacity for integration, to question guilt as the norm which regulates the moral conscience and disaffection with love in order to remain master of one's self. 3
I want to show that the phenomenon of resilience does not permit the hypothesis of a possible integrity of the subject; resilience can also be considered as an artifact produced by an individual who assembles an attitude to the disaster residing in them and destroying them bit by bit.
I put forward the, without doubt thorny, hypothesis, that guilt is an accomplice of the physical and moral ill and thereby alters a resistant subject's ability to confront the situation. That emotional integrity, “at the heart of the subject” has always preceded the ill and affirms before any destructiveness and negativity a “generosity of self.”
Lastly, I will explore the ability to love as a reality of the highest importance to consider the integrity of a subject, filled with the love of life who undertakes to spread "good".
Under what conditions is life worth living for an individual and is it possible to persevere in the development of these conditions when the "end of life" is so evident? That is the key question asked in the framework of this research, which has, above all, a practical significance.
Faced with the proclaimed dereliction of the world which can no longer bear us without our cooperation, the time has perhaps come to learn how to become bien portants, able to provide support to our human community.
Being there, truly present each for the other. From this, comes this generosity, this is what, in the framework of our research, we call “healing.”

Mots-Clés : Affectivité, amour, l’autre, auto-affection, auto-donation, ‘’bien-portant’’, consistance, chair, coeur, corps, commencement, désir, effort, mal, fécondité, générosité, bien, volonté, don, guérison, maladie, joie, joie de vivre, patience, perception, pré-reflexivité, présence, résilience, résistance, santé, sensibilité, sujet, le moi, souffrance, toucher, vie.

Keywords : Affectivity, auto-affection, beginning, ‘’bien-portant’’, body, consistency, desire, effort, evil, fecondity, generosity, good, good will, gift, healing, health, heart, illness, joy, joy of living, love, others, patience, perception, pre-reflexivity, presence, resilience, resistance, selfdonation, sensitivity, subject, the self, suffering, touch, vie.

Directrice de thèse : Jean-Jacques WUNENBURGER
                                  

Membres du jury :
- Eric FIAT, Professeur des universités, Université Paris Est - Marne la Vallée
- Jérôme POREE, Professeur des universités, Université de Rennes 1
- Pierre GIRE, Professeur, Université Catholique de Lyon
- Jean-Philippe PIERRON, Professeur des universités, Université Jean Moulin Lyon 3
- Jean-Jacques WUNENBURGER, Professeur des universités, émérite, Université Jean Moulin Lyon 3

Président du jury : Jean-Philippe PIERRON

Mention : Très honorale avec Félicitations du jury

Equipe d'accueil : IRPHIL