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CHUJO Chiharu

Formes et enjeux politiques de la musique populaire dans le Japon des années 1970 jusqu’à aujourd’hui : arrangements stratégiques des artistes femmes engagées

Publié le 14 février 2019 Mis à jour le 14 février 2019

Thèse en Etudes de l'Asie et ses Diasporas, soutenue le 23 novembre 2018.

La figure de la chanteuse populaire reflète au Japon la réalité de la condition féminine dans ce pays. Alors que l'archipel a traversé, à l’instar de la France ou des États-Unis, une période marquante des mouvements féministes, qui généra une timide amélioration de la place des femmes dans la société, la majorité des Japonaises est toujours aux prises avec une norme sociale qui leur demeure ingrate et défavorable : selon le rapport du « Forum économique mondial sur les disparités entre les sexes » publié en 2017, le Japon se situerait en terme d'égalité des sexes au 114e rang sur 144 pays. Derrière cette réalité, c'est avec une notion du genre hypernormée et bien ancrée dans la société que les Japonaises sont contraintes de composer, quel que soit leur milieu d'origine. Dans le monde de la musique populaire japonaise, cette norme sociale régissant les représentations féminines se répercute sur la posture de bien des chanteuses, soit dans l'immaturité naïve renvoyant à la vulnérabilité, soit dans une certaine magnanimité fondée sur la maternité, ces deux attitudes n'étant pas nécessairement incompatibles. Là où nombre de leurs homologues d’autres styles musicaux intériorisent ce carcan social, certaines idoles féminines se montrent particulièrement représentatives de ce phénomène.
Depuis le 11 mars 2011, la société nipponne a vu grossir les rangs de ses artistes opposés au nucléaire, non sans alimenter la réflexion sur les rapports entre musique et politique de celles et ceux qui s’interrogent sur les postures engagées des musiciens. Il est cependant à souligner qu'en la matière, les artistes de sexe féminin attirent nettement moins l’attention publique. Malgré une large participation des femmes aux mouvements antinucléaires depuis la catastrophe de Fukushima, les chanteuses et musiciennes engagées semblent souvent être reléguées à un moindre rang par rapport à leurs confrères masculins. Cette méconnaissance de l’engagement des musiciennes et cette rupture entre la société civile et le monde musical populaire s’expliquent par — tout autant qu'ils sont liés à — la condition des femmes dans une société obstinément patriarcale. Si un tel état de choses ne soulève pas, du moins à l’heure actuelle, une opposition radicale chez les artistes, il se développe toutefois chez elles des stratégies, des arrangements qui leur assurent une place, une visibilité aux yeux de la société.
Notre étude examine la situation contemporaine des artistes femmes et leur posture en tant que musiciennes engagées à travers l’analyse de leur expression artistique, en lien direct avec le contexte social et sociétal où celle-ci s'inscrit. Le cadre temporel choisi s'étend des années 1970, lorsque surgissent au Japon les mouvements de libération des femmes, à nos jours — et plus précisément à la période post-Fukushima, qui voit la participation des femmes aux mouvements sociaux du pays se faire plus saillante. Le cœur de nos recherches portera plus particulièrement sur la caractérisation des musiciennes engagées et de leurs postures dans le Japon des années 1990 à ce jour, révélant la possibilité pour les femmes japonaises, désormais, d'une pluralité de positionnement selon leur milieu social et économique d'appartenance.

 
The figure of the Japanese pop singer reflects the reality of women’s status in Japan. Although Japan went through a crucial feminist movement, like France or the United States, which resulted in a slight improvement in women’s situation in society, the majority of women are still struggling with social norms that remain unrewarding and unfavorable to them. According to the Global Gender Gap Report the World Economic Forum published in 2017, Japan ranks 114th out of 144 countries in terms of gender equality. In this reality, one may notice that Japanese women, whatever their social milieu, are forced to comply with the notion of hyper-normed gender that is anchored in society. In the sphere of Japanese popular music, this social norm dominating female representation has repercussions for many female singers’ positions, either in naive immaturity relating to vulnerability or in a certain magnanimity based on motherhood, two notions not necessarily incongruent. Certain female idols are particularly representative of this phenomenon, whereas their counterparts in other musical styles internalize this social straitjacket.
Since March 11, 2011, artists against nuclear increase in Japanese society have fueled reflection on the relationship between music and politics by those who question the postures of politically committed musicians. It should be pointed out, though, that female artists attract quite a bit less public attention than their male counterparts. Although women significantly participate in movements against nuclear programs since the Fukushima disaster, committed female singers and musicians often seem to be relegated to a lower rank than their male colleagues. This ignorance of female musicians’ commitment and the breaking-off between civil society and the popular musical scene can be explained by—as much as it is linked to—the condition of women in a stubbornly patriarchal society. If such a state of affairs does not, in the present time, raise radical opposition among artists, it nevertheless develops in them strategies and arrangements that ensure them a place and visibility in society.
Our study examines the contemporary situation of female artists and their positions as committed musicians, by analyzing their artistic expression and considering the social and societal contexts in which they are implicated. The time frame ranges from the 1970s, when women's liberation movements emerged in Japan, to today—and more specifically to the post-Fukushima period, when women's participation in the country's social movements became more prominent. The core of our research focuses particularly on the characterization of committed female musicians and their postures in Japan from the 1990s to the present, revealing the possibility for Japanese women to have positioning plurality based on their social and economic backgrounds.


Mots-clés : musique populaire japonaise, genre, idole, Fukushima, féminisme, l’éthique du care, musique engagée

Keywords : Japanese popular music, gender, idol, Fukushima, feminism, ethics of care, protest music


Directeur (trice) de thèse : Claire DODANE


Membres du jury :
Mme Claire DODANE, Directrice de thèse, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3,
Mme Christine LÉVY, Rapporteur, Maitre de conférences, Université Bordeaux Montaigne,
Mme Midori KOBAYASHI, Rapporteur, Professeure émérite, Kunitachi College of Music, Tokyo Japon,
M. Philippe PELLETIER, Professeur des universités, Université Lumière Lyon 2,
M. Paloma OTAOLA, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3,
M. Kazuhiko YATABE, Maitre de conférences, Paris Diderot.


Président du jury : Philippe PELLETIER